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vaisseaux. — « Quel parti prendra votre cour dans cette circonstance ? demanda le roi. Je ne vois que celui d’assembler un gros corps d’armée sur la frontière de Flandre. La Picardie, le Hainaut et L’Artois ont assez de chevaux pour voiturer une grosse et nombreuse artillerie, et vous aurez le temps encore cette année de faire le siège de Tournay, de Mons et de Bruxelles, auxquelles vous pourrez ajouter, si la saison le permettait, la prise de Charleroi et de la citadelle d’Anvers. — La rapidité avec laquelle ce prince faisait faire au roi la conquête d’une partie des Pays-Bas allait envahir toute la Flandre autrichienne et peut-être la Hollande, si pour tâcher de le pénétrer, je n’avais pris le parti de lui représenter que, quoique j’ignorasse les vues et les projets de Sa Majesté il me semblait que l’extension du plan qu’il venait de tracer ne ferait point tomber sur les Anglais la vengeance que Sa Majesté voudrait tirer de leurs insultes, mais bien sur les alliés de l’Angleterre. — Que voudriez-vous donc faire ? répliqua Sa Majesté prussienne, les Anglais sont supérieurs à vous sur mer, et vous ne pouvez point porter vos armes sur l’électorat de Hanovre faute d’entrepôt. — Et pourquoi non ? ai-je repris, Sa Majesté n’a-t-elle pas en Allemagne vingt-huit mille hommes à sa solde ? N’y a-t-elle pas des alliés puissans qui ont des troupes et des places d’armes comme Juliers et Dusseldorf, Munich et autres ? — Non, répliqua avec vivacité Sa Majesté Prussienne, ce parti ne saurait, vous convenir. Mais si vous portez vos armes dans les Pays-Bas, n’allez pas faire comme vous fîtes au commencement de la dernière guerre. Faites assembler et marcher une armée assez nombreuse et frappez des coups d’importance : et vous forcerez par là l’Angleterre et ses alliés à vous respecter. » — Ce langage, Monseigneur, est bien différent de celui que Sa Majesté prussienne m’a tenu dans les premiers jours de mai, lorsqu’il me dit, comme je vous l’ai mandé : Si j’étais la France, je ferais marcher, dès que les Anglais auraient commencé quelque hostilité contre mes vaisseaux, un corps de troupes en Westphalie et le porterais tout de suite dans l’électoral de Hanovre. Ce serait le moyen le plus sûr de faire chanter le roi d’Angleterre. — Le langage d’aujourd’hui de ce prince paraît donner à entendre qu’il cherche à éloigner la guerre de son voisinage et qu’il cherche à rester dans l’inaction[1]. »

Pendant que cet entretien avait lieu, la nouvelle de cette capture de deux bâtimens français, faite avant toute déclaration de guerre, se trouvait confirmée avec des détails qui aggravaient la nature de l’événement et causait en France une émotion générale.

  1. La Touche à Rouillé, 28 juillet 1755 (Correspondance de Prusse : ministère des Affaires étrangères).