Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 125.djvu/326

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

particulier de constructions spéculatives si générales ? En mettant au premier rang, d’une part la profession, d’autre part l’organisation de la tribu, il a du moins fidèlement résumé une impression qui se manifeste chez la plupart des observateurs de la vie contemporaine. Tous sont frappés de cet enchevêtrement de groupes ethniques plus ou moins étendus dont j’ai cherché à donner quelque idée et dont il importe de ne perdre de vue ni la complication ni la mobilité. Ils les voient, en des dégradations infinies, se rapprocher plus ou moins du type de la caste, s’en rapprocher d’autant plus que la communauté de profession s’y est plus complètement substituée au lien d’origine ; et, naturellement, cette double remarque colore leurs conclusions théoriques.

Moins complète — moins poussée, si j’ose ainsi dire, que celle de M. Nesfield — c’est sur les mêmes données que repose la thèse de M. D. Ibbetson. D’esprit moins systématique, plus frappé de nuances assez changeantes pour décourager les généralisations, il s’enveloppe de réserves. Il se résume cependant, et voici, textuellement, les étapes qu’il discerne dans l’histoire de la caste : 1o  l’organisation de la tribu, commune à toutes les sociétés primitives ; 2o  les guildes fondées sur l’hérédité de l’occupation ; 3o  l’exaltation particulière à l’Inde de la fonction sacerdotale ; 4o  l’exaltation du sang lévitique par l’importance attribuée à l’hérédité ; 5o  l’affermissement du principe par l’élaboration d’une série de lois tout artificielles, tirées des croyances hindoues, qui réglementent le mariage et fixent les limites dans lesquelles il peut être contracté, déclarent certaines professions et certains alimens impurs, et déterminent les conditions et les degrés des rapports permis entre les castes.

On voit quelle place tiennent ici encore la profession et la constitution de la tribu. Seulement, cette fois, le rôle des brâhmanes est renversé. Jaloux de consolider un pouvoir qui s’était fondé d’abord sur leur science religieuse, mais pour lequel cette base devenait trop fragile, ils trouvèrent, suivant M. Ibbetson, dans la division du peuple en tribus, dans la théorie de l’hérédité des occupations qui en était issue, une indication précieuse ; ils en firent leur profit. Ils en tirèrent ce réseau de restrictions et d’incapacités qui enlacent un Hindou de haute caste depuis sa naissance. Les brâhmanes sont présentés ainsi comme tributaires de l’organisation spontanée du pays. Ce système peut paraître plus logique que celui de M. Nesfield, mais, plus encore, peut-être, il procède d’une conjecture toute gratuite que n’étaie aucun commencement de preuve. Et que dire de cette conception des règles les plus essentielles, les plus caractéristiques de la caste ? Ces règles si strictes,