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Gautier a fait plusieurs articles sur l’École anglaise : il a commencé par là. Arnoux, qui le déteste, m’a dit chez Delamarre que c’était une flatterie de sa part pour le Moniteur, dans lequel il écrit. Je veux bien, pour moi, lui faire l’honneur d’attribuer à son bon goût cette espèce de prédilection marquée tout d’abord pour des étrangers ; cependant ses remarques ne m’ont nullement mis sur la trace même des sentimens que j’exprime ici. C’est par la comparaison avec d’autres tableaux et dans lesquels on croit admirer chez nous des qualités analogues qu’il fallait avoir le courage de faire ressortir le mérite des Anglais ; je ne trouve rien de cela. Il prend un tableau, le décrit à sa manière, fait lui-même un tableau qui est charmant, mais il n’a pas fait acte de véritable critique ; pourvu qu’il réussisse à faire chatoyer, miroiter les expressions macaroniques qu’il trouve avec un plaisir qui vous gagne quelquefois, qu’il cite l’Espagne et la Turquie, l’Alhambra et l’Atmeïdan de Constantinople, il est content, il a atteint son but d’écrivain curieux, et je crois qu’il ne voit pas au-delà. Quand il en sera aux Français, il fera pour chacun d’eux ce qu’il fait pour les Anglais. Il n’y aura ni enseignement ni philosophie dans une pareille critique.

C’est ainsi qu’il avait fait l’année dernière l’analyse des tableaux si intéressans de Janmot ; il ne m’avait donné aucune idée de cette personnalité vraiment intéressante qui sera noyée dans le vulgaire, dans le chic, qui domine tout ici. Quel intérêt il y aurait pour un critique un peu fin à comparer ces tableaux, tout imparfaits qu’ils sont sous le rapport de l’exécution, avec ces tableaux aussi naïfs, mais d’une inspiration si différente ! Ce Janmot a vu Raphaël, Pérugin, etc., comme les Anglais ont vu Van Eyck, Wilkie, Hogarth et autres ; mais ils sont ; tout aussi originaux après cette étude. Il y a chez Janmot un parfum dantesque remarquable. Je pense, en le voyant, à ces anges du purgatoire du fameux Florentin ; j’aime ces robes vertes comme l’herbe des prés au mois de mai, ces têtes inspirées ou rêvées qui sont comme des réminiscences d’un autre monde. On ne rendra pas à ce naïf artiste une parcelle de la justice à laquelle il a droit. Son exécution barbare le place malheureusement à un rang qui n’est ni le second, ni le troisième, ni le dernier ; il parle une langue qui ne peut devenir celle de personne ; ce n’est pas même une langue ; mais on voit ses idées à travers la confusion et la naïve barbarie de ses moyens de les rendre. C’est un talent tout singulier chez nous et dans notre temps ; l’exemple de son maître Ingres, si propre à féconder par l’imitation pure et simple de ses procédés cette foule de suivans dépourvus d’idées propres, aura été impuissant à donner une