Des portraits séparés, quelle que soit leur perfection, ne peuvent former un tableau. Le sentiment particulier peut seul donner l’unité, et elle ne s’obtient qu’en ne montrant seulement que ce qui mérite d’être vu.
L’art, la poésie, vivent de fictions. Proposez au réaliste de profession de peindre les objets surnaturels : un dieu, une nymphe, un monstre, une furie, toutes ces imaginations qui transportent l’esprit !
Les Flamands, si admirables dans la peinture des scènes familières de la vie, et qui, chose singulière, y ont porté l’espèce d’idéal que ce genre comporte comme tous les genres, ont échoué généralement (il faut en excepter Rubens) dans les sujets mythologiques ou même simplement historiques ou héroïques, dans des sujets de la fable ou tirés des poètes. Ils affublent de draperies ou d’accessoires mythologiques des figures peintes d’après nature, c’est-à-dire d’après de simples modèles flamands, avec tout le scrupule qu’ils portent ailleurs dans l’imitation d’une scène de cabaret. Il en résulte des disparates bizarres qui font d’un Jupiter et d’une Vénus des habitans de Bruges ou d’Anvers travestis, etc. (Rappeler le tombeau du maréchal de Saxe.)
Le réalisme est la grande ressource des novateurs dans les temps où les écoles alanguies et tournant à la manière, pour réveiller les goûts blasés du public, en sont venues à tourner dans le cercle des mêmes inventions. Le retour à la nature est proclamé un matin par un homme qui se donne pour inspiré.
Les Carrache — et c’est l’exemple le plus illustre qu’on puisse citer — ont cru qu’ils rajeunissaient l’école de Raphaël. Ils ont cru voir dans le maître des défaillances dans le sens de l’imitation matérielle. Il n’est pas bien difficile, en effet, de voir que les ouvrages de Raphaël, que ceux de Michel-Ange, du Corrège et de leurs illustres contemporains, doivent à l’imagination leur charme principal ; et que l’imitation du modèle y est secondaire et même tout à fait effacée. Les Carrache, hommes très supérieurs, on ne peut le nier, hommes savans et doués d’un grand sentiment de l’art, se sont dit un jour qu’il fallait reprendre pour leur compte ce qui avait échappé à ces devanciers illustres, ou plutôt ce qu’ils avaient dédaigné : ce dédain même leur a peut-être paru une sorte d’impuissance de réunir dans leurs ouvrages des qualités de