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riches et possédant d’immenses troupeaux de chameaux et de moutons qui paissent sur les rives fertiles de l’Oum-el-Rebia, un des plus grands cours d’eau du Maroc. La situation stratégique de toute cette contrée est des plus importantes : c’est en effet là que passe une des deux routes qui unissent les royaumes de Fez et de Merâkech. L’autre voie longe la mer sous les canons de Rabat, à l’embouchure du fleuve Bou-Regreg, sur l’emplacement de l’antique Sala-Colonia des Romains. Aussi, dans l’histoire du Maghreb, voyons-nous de tout temps les sultans s’assurer avec le plus grand soin le passage du Tadela dès le moment initial de l’établissement de leur domination. Or, cette région en réalité à demi indépendante est depuis de longues années l’apanage d’une famille dont la réputation, le prestige religieux, s’étendent encore de nos jours fort loin. Tous les indigènes de cette partie du Maroc ne reconnaissent en effet qu’une autorité, celle du marabout qui réside à Bou-el-Djad, où l’on répète volontiers la fière devise : « Ici ni sultan ni makhzen, rien que Dieu et Sidi-ben-Daoud ; » et cette influence spirituelle devient aisément un redoutable pouvoir temporel. Cependant les marabouts ne descendent point, comme le sultan ou comme les chérifs de Ouâzzan, par une généalogie plus ou moins bien établie, du divin prophète. Leur souche est plus modeste, quoique d’ailleurs encore fort illustre. Remontant au fameux khalife Omar-ben-el-Khattab, leur influence est considérée par le vulgaire comme leur venant d’une longue lignée de bienheureux, objets de grâces spéciales, et, par ce fait même, on est assez disposé à honorer d’un culte mélangé d’une certaine superstition tout ce sang illustre dans le marabout de Bou-el-Djad. Au commencement de ce siècle, lorsque le célèbre voyageur Domingo Badia y Leblich, dit Ali-Bey, parcourut le Maroc, le chef de la famille des marabouts de Bou-el-Djad passait dans tous les pays pour le plus grand saint, concurremment avec le chérif chef de la zaouïa de Ouâzzan.

Arrivé aux confins du Tadela, Moulaï-el-Hassan, malgré l’habileté des émissaires qu’il avait envoyés, rencontra une résistance très accusée que lui faisait parmi les tribus le chef de la famille Ben-Daoud. Ce dernier était alors un vieillard fort âgé, animé de sentimens intransigeans sur le pouvoir qu’il détenait, et sur la part qu’il entendait abandonner ou céder au gouvernement chérifien dans l’administration des tribus de la région. Moulaï-el-Hassan, en politique habile et patient, consacra plus tard tous ses soins à se ménager des alliances dans la famille même de son adversaire. Au moment de la mort de Sidi-ben-Daoud, la diplomatie chérifienne avait réussi dans sa tâche, car on vit se