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l’Angleterre, pour qu’il y eût un espoir sérieux de les voir agréées ; mais le commentaire dont Marie-Thérèse les fit accompagner sous la forme d’un mémoire écrit et raisonné, où on reconnaît l’empreinte de sa propre main, leur préparait un accueil plus mauvais encore. Ce n’était qu’un résumé, fait sur un ton de récrimination amère, de tous les services rendus par l’Autriche à l’Angleterre, et des procédés tout opposés dont ces sacrifices avaient été payés. C’est à l’alliance de l’Autriche que l’Angleterre avait dû le développement de sa prospérité et de sa liberté : les combats soutenus en commun avaient coûté à l’Autriche le sang et la ruine de ses sujets : l’Angleterre n’y avait trouvé que des sources nouvelles de grandeur et de force. Malgré cette triste comparaison, l’impératrice était prête encore à donner une preuve manifeste de son amitié pour le roi et pour la nation britannique, puisque, n’ayant aucun intérêt dans ce qui fait l’objet de la guerre présente, elle consentait à en partager les périls. Mais au moins fallait-il qu’on lui laissât disposer à son gré le soin de sa défense et prendre les précautions nécessaires là où elle se trouvait principalement menacée. « Si faute d’être préservée par ses alliés, les Pays-Bas succombent, ce sera pour elle une grande douleur, mais il faut souvent accepter un moindre mal pour en éviter un plus grand. » Le mémoire se terminait par ces termes hautains qui étaient, en réalité, un ultimatum opposé à celui du cabinet anglais :

« L’impératrice sait bien que l’Angleterre, par une politique qu’elle croit bonne, ne veut jamais entrer dans le vrai de la situation. Mais Sa Majesté a aussi autant de fermeté et de résolution, pour être, comme elle le doit, on garde contre les effets de cette politique et pour ne pas s’exposera on souffrir… Et, quoi qu’il arrive, la cour de Vienne ne donnera jamais les mains qu’à ce qui sera combinable avec sa conservation, sa gloire et le vrai bien de l’alliance[1]. » Et en voyant elle-même l’écrit à son beau-frère, Charles de Lorraine (qui, en qualité de gouverneur des Pays-Bas, avait un intérêt pressant à le connaître) : « Vous trouverez, disait-elle, les termes un peu forts, mais il a fallu en venir là pour savoir une bonne fois où j’en suis avec MM. les Anglais. »

L’éminent historien de Marie-Thérèse persiste à penser qu’en laissant partir une pièce d’un si haut goût, Kaunitz pouvait se flatter encore que la rupture de l’alliance ne serait pas la suite nécessaire d’une explication si franche. Je ne puis partager à cet égard le doute de M. d’Arneth, ce serait faire peu d’honneur à la

  1. Keith à Holderness, 10 juin. — Précis de la réponse donnée à M. Keith sur les représentations qu’il a faites au chancelier d’État. — D’Arneth, t. IV, p. 380-548. — Coxe, House of Austria, t. V, p. 60-62.