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de Ouâzzan, jusqu’alors fief indépendant et sorte de principauté soumise à la seule domination de la famille qui gouverne la confrérie de Moulaï-Taïeb. Exemptés de toute redevance, de toute obédience, les chérifs n’avaient avec la famille régnante que des relations de quasi-égalité dans le domaine religieux. Depuis Moula-Ismaïl, la zaouia de Ouâzzan n’était-elle point un inviolable lieu d’asile, au même titre que la mosquée de Moula-Idris à Fez ou que la zaouia du Zerboun, où reposent les restes du grand Idris, l’apôtre de la foi musulmane dans le Moghreb ?

Au moment qui nous occupe, El-Hadj-Abdesselam se trouvait donc poursuivi, traqué jusque dans ses propriétés, jusque dans le berceau de sa famille, au milieu de ses fidèles et de ses serviteurs déconcertés. Pour éviter une infortune encore plus grande, il était sur le point de réclamer asile et protection à une légation étrangère, quand notre ministre l’accueillit en 1883. En procédant ainsi, nous agissions avec sagesse et générosité. Ne nous importait-il donc point de préserver des manœuvres des intrigues rivales le chef d’une confrérie religieuse si populaire parmi les tribus algériennes, et de ne pas voir tomber en d’autres mains un pareil instrument de domination, péril dont il est facile de calculer les conséquences ? On peut cependant regretter que par la suite nous n’ayons point guidé notre protégé en le préservant de certains écarts trop aisément exploités par la puritaine théocratie du makhzen. Le gouvernement marocain, comme il fallait s’y attendre, éleva des protestations contre cette protection qui mettait hors de la portée de ses intrigues et de son ressentiment un tel personnage. On se souvient en effet des difficultés qu’eut à traverser à cette occasion notre légation et de l’énergie qu’il fallut montrer pour obtenir la destitution du pacha de Ouâzzan.

D’après ce qui précède, on comprend que notre diplomatie redoutât certaines difficultés après la mort d’El-Hadj-Abdesselam. Le grand chérif laissait plusieurs fils, et Moulaï-el-Arbi, héritant de son chapelet, prenait en mains la direction de la confrérie. Il ne fallut pas moins de plusieurs mois pour régler les affaires d’une succession aussi considérable et qui se trouvait encore compliquée des multiples intérêts d’héritiers nombreux. Le partage des immenses propriétés du défunt, la sauvegarde des biens de mainmorte de la zaouia furent des opérations aussi longues que délicates, dans lesquelles notre administration ne pouvait intervenir, bien que les héritiers eussent fait appel à son concours. Quoi qu’il en soit, on n’était pas sans quelque appréhension ; des contestations pouvaient en effet se produire au cours de tous ces litiges, et on se demandait, non sans apparence de raison, quelle serait alors la conduite du gouvernement marocain.