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des Aït-Iafelmane, mais depuis lors son prestige s’était répandu et affermi, et avec un tel allié la cour chérifienne aurait dominé sans peine des contrées entières où maintenant et pour longtemps encore aucun sultan ne pourra prétendre s’imposer. Moulaï-el-Hassan, en s’emparant d’Ali-ben-Yahia pouvait être considéré, il est vrai, comme accomplissant le devoir sacré d’un chérif vengeant le meurtre d’un des siens, Moulaï-Serour ; mais outre que cette complicité n’était rien moins qu’établie, cette seule faute compromettait irrémédiablement l’avenir de sa politique chez les Berbères. En effet, depuis la mort d’EI-Arbi-el-Derqaoui, Ali-ben-Yahia paraissait décidé à se rapprocher du parti gouvernemental, et à remplir pour le compte du makhzen le rôle joué à Télouine par les siens contre les Aït-Atta. Maintenant, tout cela est changé ; ses fils ont pris sa succession, ils n’obéissent plus qu’à eux-mêmes ; et, dans leur haine du nom de Moulaï-el-Hassan, ils se considèrent comme dégagés de toute vassalité vis-à-vis du nouveau sultan.

On ne saurait prédire l’avenir de ce côté, mais de même que l’empire des Almoravides sortit jadis des tribus berbères du désert, de même nous approchons peut-être de l’époque où succombera dans son impuissance la dynastie des Filali sous l’envahissement des Berbères.

Après avoir heureusement franchi le passage difficile du Tizi-n’-Telremt qui s’élève à environ deux mille mètres d’altitude, on descendit sans incident sur le versant méridional de l’Atlas pour suivre la vallée de l’Ouad-Nezala jusqu’au canton de Guers, dans la vallée de l’Ouad-Ziz, encaissé à cet endroit dans la montagne ; et il fallut contourner le défilé dit El-Kheneg, où l’énorme quantité de bagages et d’impedimenta de toutes sortes que traînait l’armée n’aurait pu s’engager. Ce fut au campement de Guers, du 2 août au 23 septembre, que les Aït-Izdeg achevèrent de régler le montant considérable des impositions dont ils avaient été frappés. On y célébra la fête du Mouloud et on y reçut la première nouvelle des événemens de Melilla.

Tout d’abord, la cour marocaine ne se rendit point, compte de l’importance de l’affaire. Le sultan lui-même crut à quelque incident analogue à ceux qui depuis de si longues années marquent les relations des autorités militaires espagnoles avec les Kabyles du Rif voisins des présides. On dépêcha toutefois un prince de la famille chérifienne, Moulaï-Arafa, propre frère du sultan, personnage très religieux, et qui partit avec une simple escorte et quelques secrétaires. Il devait, ainsi que l’on sait, s’acquitter avec habileté de sa difficile mission, calmer les populations et engager les premières négociations avec les chefs de la place espagnole.