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il reçut de son père les deux prénoms d’Antoine et de Raphaël, en mémoire d’Antoine Allegri (le Corrège), et Raphaël Santi, les deux maîtres qu’il était destiné à imiter d’abord, pour ensuite les dépasser en grandeur et en perfection. Ismaël Mengs avait en effet conçu le projet de réformer l’art de son temps ; et comme lui-même se jugeait trop enlizé déjà dans la routine, ce fut son troisième fils qui reçut la mission de réaliser ses projets. Quelques mois après la naissance de l’enfant, Ismaël, le faisant voir dans son berceau à un de ses amis, déclara que cet enfant égalerait plus tard Corrège et Raphaël. « Il le doit, il le fera ! » répétait-il avec obstination.

Le père de Raphaël Mengs était, on le voit, un homme singulier. Avant de s’établir à Dresde, en 1714, il avait erré un peu partout, étudiant la peinture à Copenhague, avec le peintre français Benoît Coffre (encore un oublié qu’il serait intéressant de remettre en lumière), puis peignant des miniatures à Lubeck, à Hambourg, à Mecklembourg, à Schwerin. Il était bon peintre, connaissant à fond son métier, mais sans la moindre originalité. Ses miniatures, ses peintures sur émail, sont aussi consciencieuses que froides.

L’originalité ne manquait pas, en revanche, à son caractère. Le médecin Bianconi, qui l’avait connu, nous l’a décrit comme un homme bizarre, mais intelligent et fin. « Il était de haute taille, toujours grave, silencieux, quoique personne ne l’égalât pour savoir parler. Il ne manquait pas une seule des représentations de l’Opéra, et il jouait lui-même de la flûte. Jamais, seulement, on ne l’a vu entrer dans une église. » Un autre de ses amis nous dit « qu’il avait pour principe d’être sans religion, et que, dans l’ensemble de son caractère, il rappelait beaucoup Jean-Jacques Rousseau. »

On a vu qu’il le rappelait, au moins, dans sa façon d’entendre le mariage. Seulement, au bleu de mettre ses enfans aux Enfans-Trouvés il s’efforçait d’en faire des artistes de génie ; et toute l’éducation qu’il leur donna était dirigée vers ce but. Il les tenait au travail du matin au soir, réglait jusqu’aux moindres détails de leur nourriture, pour faciliter en eux l’éveil de l’inspiration ; et, afin de leur cacher la vue du monde, et de les cacher à la vue du monde, il ne les faisait sortir que la nuit.

Il avait quatre enfans, deux fils et deux filles. Le fils aîné, Charles-Maurice, ne put s’accoutumer à cet étrange régime. Un beau jour il s’enfuit, se convertit au catholicisme, et devint professeur dans un collège de jésuites. Jamais son père ne lui pardonna sa désertion. Il avait heureusement, pour s’en consoler, la docilité et les progrès de ses trois autres enfans. Tous trois étudiaient avec une assiduité exemplaire, chacun se préparant de son mieux au rôle qui lui était assigné dans la rénovation de la peinture. Mais toujours c’était sur Antoine-Raphaël que reposait la grande espérance : celui-là devait créer