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à peine après son retour à Dresde, en 1751, il repartit de nouveau, et pour ne plus revenir.

Il emmenait avec lui à Rome sa jeune femme et ses deux sœurs, dont l’une, l’aînée, épousa le peintre Maron, tandis que l’autre, la jolie Julia, entra au couvent. Le père était resté à Dresde, et Raphaël s’en croyait délivré, lorsqu’un beau matin il le vit arriver chez lui, toujours escorté de sa Catherine. Mais l’influence de sa femme l’avait décidément emporté, chez le jeune peintre, sur l’ancienne influence de son père. Il contraignit le vieillard à se marier avec Catherine ; puis, cette formalité accomplie, il les renvoya en Saxe.

Je ne suivrai pas M. Wœrmann dans le récit qu’il fait ensuite des aventures de Raphaël Mengs, de ses triomphes à Rome, à Naples et à Madrid, de ses relations familières avec tous les rois de l’Europe. Toute sa vie il essaya consciencieusement de réaliser le programme que lui avait, dès le berceau, imposé son père. Il y introduisit cependant un perfectionnement encore, et au dessin de Raphaël et au clair-obscur de Corrège, il joignit la couleur de Titien. Et toute sa vie il employa, pour réaliser ce programme, la méthode que lui avait enseignée son père : il copia de son mieux ses trois grands modèles, sans jamais essayer d’y rien ajouter de lui-même. Il n’y a point de peinture plus impersonnelle que la sienne, mais il n’y en a guère aussi de plus ennuyeuse, ni qui donne davantage l’impression d’être faite sur commande. Et en effet le malheureux Mengs l’a toujours faite sur commande : elle lui était commandée par les prénoms que lui avait donnés son père, par cette éducation singulière qu’il avait reçue. La discipline paternelle avait étouffé en lui ses qualités natives de bon ouvrier ; elle avait déprimé son intelligence et glacé son cœur. Voici en quels termes il répondait à l’Italien Raymond Ghelli, qui lui avait annoncé la mort tragique de son ami Winckelmann : « J’ai eu bien du chagrin à apprendre la mort de l’ami Winckelmann ; mais comme ce qui est arrivé ne saurait se changer, je me suis consolé en songeant qu’il avait fait une bonne fin, et qu’il jouissait en conséquence de la béatitude éternelle, qui importe avant tout. Car il est vrai de dire que l’homme commence de mourir dès qu’il commence de vivre. »


T. DE WYZEWA.