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ture boulangiste qui a troublé tant de consciences, n’a pas été pour M. le Comte de Paris un mauvais conseiller. Dans les entretiens suprêmes qu’il a eus avec son fils, on se demande quel langage il a tenu au jeune prince, et la question reste sans réponse. M. le Duc d’Orléans gardera sans doute pour lui ces confidences, mais il faut souhaiter qu’il s’en inspire. On peut se douter, en effet, de ce qu’elles ont été. Il y a quelques semaines à peine, M. le Comte de Paris, sentant le progrès inquiétant de sa maladie, a voulu faire connaître sa pensée définitive par l’intermédiaire d’un journal fidèle. Tout le monde se souvient de cette conversation que toute la presse a reproduite, et où il donnait, dans les termes les plus fermes, l’explication de sa conduite et comme le secret de sa vie. Représentant du principe monarchique, il le regardait naturellement comme supérieur à tout autre, et ce n’est pas ce qu’on peut lui reprocher. Quand un principe a tenu et tient encore une si grande place dans le monde, ce n’est pas à l’un de ses dépositaires qu’il est permis de douter de sa valeur. M. le Comte de Paris se montrait donc assuré que la France reviendrait un jour à la monarchie, qu’elle y reviendrait d’elle-même, par la force des choses, par un penchant naturel et irrésistible ; mais, s’il mettait sa confiance dans la volonté finale de la France, il concluait qu’il fallait respecter cette volonté, même dans ses égaremens provisoires, et se bien garder d’exercer sur elle une pression brusque et violente. Il allait plus loin, il rendait en partie justice au gouvernement actuel ; il ne méconnaissait pas ce que ses efforts avaient eu souvent de louable ; il ne niait pas les progrès accomplis, et dans les conseils qu’il donnait à ses serviteurs et à ses amis, les derniers que ceux-ci entendront de sa bouche, il leur demandait de ne pas prendre à l’égard du gouvernement de leur pays une attitude intransigeante, et de ne pas chercher le bien en poussant à l’excès du mal. Quand le gouvernement, disait-il, fera quelque chose de bien, il faut le soutenir. Il y avait dans ce langage un accent de probité politique auquel on ne saurait se méprendre et un souci de ménager la tranquillité de la France dont il convient de tenir compte à celui qui le tenait. Qui sait si, dans le mystère de sa conscience, M. le Comte de Paris, bien que profondément convaincu de la supériorité de son principe, n’a pas désespéré plus d’une fois de le voir triompher ? Il connaissait l’histoire ; il avait pu y constater les changemens que les peuples, soit par évolution, soit par révolution, éprouvent quelquefois sans retour. Que de monarchies sont tombées ! Que de légitimités sont mortes ! Mais si M. le Comte de Paris a douté ou même désespéré sans le dire, il ne faut que l’en estimer davantage : cela prouve la justesse naturelle de son esprit, qu’aucune prévention n’avait pu obscurcir, et l’élévation de son âme, qui savait se résigner aux renoncemens nécessaires et s’en remettre avec docilité à une volonté supérieure à celles des hommes. Il était