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relles à la Porte, et celle-ci a pris ses mesures en conséquence. En dehors de la résistance locale, qui serait des plus énergiques, l’envahisseur trouverait devant lui une armée ottomane nombreuse et bien équipée. Le soldat turc n’est pas de ceux qu’on puisse regarder comme une quantité négligeable, l’Italie le sait parfaitement, et c’est là le principal, sinon le seul motif pour lequel elle s’est abstenue jusqu’à ce jour de toute tentative sur un point malaisément vulnérable. Mais en quoi cela nous regarde-t-il ? Est-ce nous qui défendons la Tripolitaine contre l’Italie ? Et de quel droit tous les organes de l’opinion italienne, ou du moins le plus grand nombre d’entre eux, prennent-ils à tâche d’expliquer, tantôt les velléités offensives, tantôt l’immobilité hargneuse de leur gouvernement, en prêtant à la France des intentions que le bon sens réprouve ? Si l’Italie a absolument besoin d’une tête de Turc, nous lui saurions gré d’en changer quelquefois, et de ne pas nous maintenir invariablement une préférence que nous ne méritons à aucun égard. Ce n’est pas sans une tristesse profonde que ceux qui, à notre exemple, sont partisans d’un rapprochement intime entre les deux pays voient ajouter des malentendus nouveaux, factices et imaginaires, à ceux qu’une mauvaise politique a déjà créés. Si les fausses nouvelles que lance à profusion contre nous la presse italienne ne font aucune impression sur l’Europe, elles en font sur l’Italie elle-même, et ceux qui les répandent creusent plus profondément et rendent plus difficile à franchir le fossé qui nous sépare. C’est là une œuvre funeste ; mais que pouvons-nous faire pour en combattre les effets, sinon protester de nos intentions et attendre de l’avenir un peu plus de justice qu’on ne nous en accorde aujourd’hui ?

L’empereur Guillaume vient de prononcer à Kœnigsberg un discours qui a produit en Allemagne la plus vive impression. Il ne s’agit d’ailleurs que d’affaires purement allemandes dans cette éloquente manifestation, où la personnalité du jeune souverain s’accuse, comme toujours, avec un relief singulier. C’est le roi de Prusse qui, cette fois, parle à sa noblesse, et non pas l’empereur d’Allemagne à ses sujets. Il est visible que Guillaume éprouve un profond mécontentement, et aussi un peu d’étonnement de l’opposition que le parti agrarien fait à un certain nombre de ses projets. « Une opposition des nobles prussiens contre le roi est, dit-il, un non-sens. La noblesse prussienne n’a de raison d’être que si elle a le roi à sa tête. Comme mon grand-père, je représente la dignité royale par la grâce de Dieu. » Et après avoir rappelé tout ce qu’il a déjà fait pour adoucir la rigueur d’une crise qu’il ne méconnaît pas, il invite la noblesse de Prusse à se serrer contre son roi, comme le lierre contre le chêne qu’il entoure et qu’il protège. « Combattons, s’est-il écrié, pour la religion, la morale et l’ordre contre les partis subversifs 1 Puisse la noblesse devenir un modèle éclatant pour