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contribuable de fait qui est l’ouvrier, à un autre contribuable, patron, fabricant, marchand en gros ou au détail. Ces patrons, fabricans et intermédiaires dont nous parlons, nous avons pu d’ailleurs les appeler également des consommateurs provisoires, car après avoir fait toutes les dépenses industrielles et commerciales nécessaires, ils vendent leurs produits à d’autres. C’est alors qu’ils ajoutent, avec juste raison, l’impôt qu’ils ont remboursé à l’ouvrier à leur prix de vente et qu’ils en transfèrent le montant à des acheteurs en dernier ressort, à des consommateurs qui sont bien ceux-là des consommateurs définitifs. Les patrons exercent ainsi contre leurs acheteurs un recours très équitable par la majoration de leurs prix de facture. C’est bien ce qui se passe la plupart du temps, et on peut dire que le prix des objets fabriqués comprend le prix de la nourriture, impôt compris, des ouvriers qui y ont incorporé leur main-d’œuvre. Mais pour que tout cet échelonnement de transferts puisse se réaliser, pour que cette translation, comme disent certains auteurs, ne s’arrête pas devant quelque obstacle, pour que la mobilisation de l’impôt s’achève avec précision et rapidité, il faut que le mouvement de la vente et du commerce ne subisse ni ralentissement ni temps d’arrêt, et que les objets fabriqués trouvent toujours acheteurs à un prix de balance, — c’est-à-dire à un prix de revient dans lequel est comprise la nourriture ouvrière.

Or le contraire arrive fréquemment. Les crises deviennent dans notre siècle très fréquentes. Elles frappent à certains momens toute l’activité industrielle et agricole d’une nation ; elles s’attaquent d’abord à une branche de travail, ensuite à une autre, comme un orage qui marche et détruit sur son passage les récoltes des différentes contrées qu’il traverse successivement. Si l’ouvrier n’est pas le débiteur définitif de l’impôt, s’il est comme un percepteur chargé d’en recueillir les espèces chez des tiers pour les verser ensuite au Trésor public, il peut en résulter pour lui une situation vraiment intolérable. Voilà un ouvrier dépourvu de ressources, n’ayant pas ou pouvant ne pas avoir de pécule, ne possédant pas ce qu’on pourrait appeler le fonds de roulement de la vie, et c’est cet ouvrier, ce pauvre, qui fait en réalité une avance à plus riche que lui, ou du moins à celui auquel incombe la charge de réunir le capital nécessaire à la production.

L’avance faite par l’ouvrier à son patron peut ne lui être remboursée que très tard, trop tard quelquefois. Elle peut même ne pas lui être remboursée du tout : c’est le cas quand celui qui devait être l’acheteur n’a plus besoin de l’objet fabriqué par la main de l’ouvrier et se refuse à l’acquérir, ou s’il ne consent à l’acheter