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assez volontairement les yeux ; c’est le danger de le faire servir, — et il y en a de nombreux exemples à l’étranger, — à protéger une industrie de distillation contre une autre, celle de la betterave par exemple contre celle du vin, ou réciproquement.

On sait aujourd’hui, à n’en pas douter et par expérience, que les combinaisons protectrices d’un genre particulier de distillation ont toujours eu pour résultat de diminuer d’abord les rentrées du Trésor, cela est bien entendu, mais aussi de développer presque sans limite la production de l’alcool, ce qui amène, — la conséquence est forcée, — une augmentation correspondante dans la consommation et accroît les ravages de l’alcoolisme.

Un agent russe chargé d’organiser le monopole de l’alcool dans un des gouvernemens orientaux de la Russie, sur les frontières de l’Asie, disait l’autre jour, en parlant non sans enthousiasme de la législation projetée, que les buveurs pourraient au moins n’être plus trompés et qu’ils ne consommeraient plus que du véritable alcool. « Aujourd’hui, ajoutait-il, on les exploite à ce point qu’on leur verse, quand ils sont ivres, de l’eau dans leurs s’erres en guise d’alcool : ils ne s’en aperçoivent pas, parce qu’ils ont perdu le goût avec leurs autres facultés ; on les trompe et on les vole indignement en leur faisant boire de l’eau. » Cette supériorité du monopole ne m’encourage pas à le préférer à la liberté.

Pour réussir dans la réforme nécessaire de nos finances, il faudrait avoir un gouvernement et un parlement sachant ce qu’ils veulent. Si on se borne à jeter de la poudre aux yeux des socialistes, cela ne servira de rien : il n’est déjà pas si facile de les aveugler. On se sera compromis sans compensation, et on aura simplement manifesté sa stérilité.

Il faut au contraire discuter franchement avec eux et leur dire très haut qu’on n’est pas de leur avis. Ils ont montré, quand par hasard ils n’ont pas fait de la politique d’obstruction, qu’ils savaient discuter. Il faut les provoquer à la discussion : ce serait une véritable œuvre de gouvernement ; et si on y arrive, il faudra les combattre à découvert sur un terrain véritablement sans broussailles. N’ont-ils pas déclaré qu’ils ne redoutaient pas la discussion ? N’en ont-ils pas donné un commencement de preuve dans quelques rares occasions, tout en se refusant, malheureusement le plus souvent, à se renfermer dans la question, en se plaisant à passionner le débat par des excès intolérables de langage et en se livrant à des personnalités plus intolérables encore pour lesquelles la Chambre des députés a toujours montré beaucoup trop d’indulgence ? Si le ministre des finances se réserve, par un mauvais