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Verhas, ni la Roumanie avec MM. Mirca et Grigoresco, ni tout autre pays qu’on voudra citer, ne nous offrent un seul groupement qui ne procède plus ou moins de nos écoles nationales. Ces artistes peuvent être habiles, quelques-uns aussi habiles que les nôtres : ils ne sont pas différens. À la vérité, sur la carte géographique, ils occupent des régions diverses, mais si l’on dressait une carte esthétique du monde, on serait obligé d’étendre à ces régions la couleur de la France, comme à des colonies de l’art français. Les îles Britanniques, au contraire, tranchent violemment sur le reste de la mappemonde. Leurs peintres semblent ignorer qu’il y a un continent. S’ils l’ont appris, ils n’y ont rien pris, et s’ils l’ont vu, ils ne l’ont pas regardé. Ils n’ont pas fait le pont sur la Manche. Il y a cinquante ans, pendant que nous adoptions une manière plus large où le dessin tenait moins de place, où le détail était sacrifié à l’ensemble, nos voisins prenaient justement le contre-pied de ce mouvement et allaient à la minutie des Primitifs. Aujourd’hui que l’école du plein air a éclairci la plupart de nos toiles, ils restent intrépidement fidèles à leurs colorations éclatantes, à leur modelé pénible et compliqué. Les assauts du réalisme, de l’impressionnisme, se brisent sur leur esthétique comme les escadrons de Ney sur les carrés de Wellington. Il y a des peintres allemands, hongrois, belges, espagnols, Scandinaves, mais il y a une peinture anglaise.

Assurément ceci n’est pas une découverte. Dès 1859, Th. Silvestre célébrait cet art auquel il trouvait « le goût du terroir, l’odeur de la patrie. » Th. Gautier y signalait « une forte saveur locale qui ne doit rien aux autres écoles », et depuis cette époque, chaque année est venue accentuer et comme creuser ces traits distinctifs. Mais la peinture anglaise n’en demeure pas moins inconnue. Au Louvre, elle n’est représentée que dans une antichambre où pas une œuvre contemporaine n’a trouvé place. Dans nos Salons, si M. Burne-Jones a envoyé quelques toiles, qui étaient loin de compter parmi ses meilleures, ses confrères se gardent d’imiter cet exemple et le jour est loin, sans doute, où ils viendront en masse s’exposer aux jugemens du « point de vue latin ». C’est seulement aux expositions universelles, de 1855 à 1889, qu’on a pu soupçonner quelque chose de l’art des pré-raphaélites ou des académisans d’outre-Manche. Encore ce quelque chose est-il bien différent de ce qui pourrait donner une idée, sinon complète, du moins caractéristique, de la peinture anglaise. En 1889, par exemple, M. Watts n’avait pas envoyé ses œuvres typiques ; ni M. Madox Brown, ni M. Holman Hunt n’avaient exposé ; et les curieuses recherches ornemanistes de M. William Morris manquaient totalement. En sorte que nous avons une notion plus