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maîtresse ; — enfin, pour tirer de cette étude quelque conclusion d’avenir, ce qu’il faut en craindre ou en espérer.


I

Il y a un demi-siècle qu’un jeune artiste alors sans notoriété, et encore aujourd’hui sans gloire, rentrait en Angleterre après avoir travaillé à Anvers, à Rome et à Paris. Dans ses bagages, il y avait des dessins, des projets de fresques et de tableaux d’histoire faits à Paris, mais en opposition avec toutes les idées françaises. Peu de temps auparavant, il avait envoyé à une exposition une grande composition sur Guillaume le Conquérant. Ce jeune homme que berçaient peut-être alors les plus beaux rêves d’ambition ne devait jamais voir luire le jour des grands succès. C’était à une conquête cependant qu’il marchait, comme le héros de son tableau, et ce qu’il apportait à son pays dans ses bagages, c’était la peinture anglaise contemporaine.

En effet, s’il suffit d’une promenade dans une exposition universelle pour sentir qu’il y a un grand art national en Angleterre, il ne faut qu’une visite dans un musée de Londres pour s’apercevoir que cet art ne date pas de très loin. Allez à la Galerie Nationale, sur cette place de Trafalgar où le génie militaire anglais a dressé ses deux plus grandes figures de héros : Nelson et Gordon ; ou bien au musée de South Kensington, dans ces halls immenses où tous les arts plastiques, tous les styles, toutes les écoles sont offerts à votre étude, avec un esprit didactique et un confortable éminemment anglais, et cependant vous pourrez souvent vous croire au Louvre. Jusqu’en 1848, on admire, mais on ne s’étonne pas. Reynolds et Gainsborough sont de grands maîtres ; mais ils font de la peinture du XVIIIe siècle en Angleterre et non de la peinture anglaise au XVIIIe siècle. Leur esthétique est celle de toute l’Europe au temps où ils vivaient. Plus tard Lawrence peint chez nos voisins comme Gérard chez nous. En parcourant ces salles, on voit d’autres tableaux, mais non une autre manière de peindre, ni de dessiner, ni même de composer et de concevoir un sujet. Seuls, les paysagistes, Turner et Constable en tête, donnent, dès le début du siècle, une note nouvelle et puissante ; mais ils sont si rapidement suivis et dépassés par les Français, qu’ils ont plutôt la gloire de créer un nouveau mouvement en Europe que la chance d’assurer à leur pays un art national. Quant aux autres, — les Haydon, les Wilkie, les Landseer, les Ward, les Eastlake, les Etty, les Mulready, les Maclise, les Egg, les Stothard, les Leslie, — ils font avec plus ou moins d’habileté la peinture qu’on fait partout. On s’intéresse une minute à leurs chiens, à leurs chevaux, à leurs