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la même récréation. Qu’il ciselle son rocher consciencieusement, qu’il détaille délicatement sa forêt, et ensuite nous lui permettrons ses divertissemens d’ombre et de lumière, et nous l’en remercierons ; mais nous ne voulons pas qu’il nous donne le jeu avant la leçon, l’accessoire à la place de l’essentiel, l’illustration au lieu du fait. »

Et le jeune peintre poursuivant jusqu’au bout sa lecture, espérant, avant de se livrer au sommeil, y trouver le mot d’ordre si longtemps cherché contre la généralisation académique et le modèle suprême à opposer aux modèles de l’école, arrivait à cette page, la dernière du volume, la plus audacieuse que jusque-là on ait jamais écrite : « De la part des jeunes artistes, dans le paysage, rien ne doit être toléré que la pure imitation de la nature, bona fide. Ils n’ont pas à singer l’exécution des maîtres, à Anonner de faibles et incomplètes redites, et à mimer les gestes du prédicateur, sans comprendre sa pensée, ni prendre part à ses émotions. Nous n’avons pas besoin de leurs idées informes de la composition, de leurs conceptions incomplètes de la Beauté, de leurs essais irraisonnés de Sublime. Nous méprisons leur virtuosité, parce qu’elle est sans direction ; nous rejetons leur décision, parce qu’elle est sans fondement ; nous repoussons leur composition, parce qu’elle est sans matériaux ; nous proscrivons leur choix, parce qu’il est sans comparaison. Leur affaire n’est ni de choisir, ni de composer, ni d’imaginer, ni d’essayer, mais de suivre humblement et consciencieusement les sentiers de la nature et la trace du doigt de Dieu. Il n’est pas de pire symptôme, dans les œuvres d’un jeune artiste, que trop de virtuosité dans la touche, car c’est le signe qu’il est content de son travail et qu’il n’a pas cherché à faire mieux que ce qu’il savait déjà. L’œuvre des jeunes doit être pleine de fautes, parce que les fautes sont les signes des efforts. Ils doivent se tenir à des couleurs calmes, des gris et des bruns, et prenant les premières œuvres de Turner pour exemple, de même que ses dernières pour but, ils doivent aller à la nature en toute simplicité du cœur et marcher avec elle, obstinés et fidèles, n’ayant qu’une idée : pénétrer sa signification et rappeler son enseignement, sans rien rejeter, sans rien mépriser, sans rien choisir ! » Le mot d’ordre était trouvé. Hunt dormit-il cette nuit-là ? Je ne sais, mais sûrement il rêva, et il y a des rêves plus fortifians et plus profonds que le sommeil.

Quel était donc l’écrivain qui, dans cette page datée de 1843, donnait la formule précise du Réalisme, bien avant les réalistes, à l’heure où Courbet et ses pareils, encore enfans ou à peine sortis de l’Ecole, cherchaient péniblement leur voie ? C’était presque un enfant, lui aussi. Il avait écrit cela à vingt-trois ans,