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grande erreur que d’aller chercher dans la collection du Germe, où ni Millais, ni Hunt, ni Rossetti n’ont exposé leurs idées, le secret de leurs espérances pour l’art. Regardons plutôt leurs œuvres. Rossetti, en ne s’astreignant que rarement aux règles qu’il avait lui-même posées, a prouvé que le réalisme minutieux n’était pas à ses yeux la fin de l’art. Millais, en abandonnant les théories pré-raphaélites dès l’âge de vingt-huit ans, a montré plus clairement encore qu’il les considérait comme des lisières dont il croyait pouvoir un jour se débarrasser. Mats Hunt ? dira-t-on. Hunt pense exactement de même : « En convenant qu’il fallait élaborer le plus minutieusement possible nos premières œuvres, dit-il, nous n’avons jamais entendu dire plus que ceci : que cette pratique était essentielle pour exercer l’œil et la main du jeune artiste. Nous n’aurions jamais admis qu’abandonner cette méthode de travail, une fois qu’on est parvenu à l’âge mûr, ce fût être moins pré-raphaélite. » Enfin même Ruskin, qu’on a souvent taxé d’exagération, indiquait dès 1843, dans ce livre que Hunt lisait la nuit, dans sa jeunesse, que l’étude réaliste de la nature n’était à ses yeux qu’un moyen de formation. Immédiatement après ces mots d’ordre : « Ne rien négliger, ne rien mépriser, ne rien choisir,  » qu’on cite toujours, venaient ceux-ci qu’on ne cite jamais et qui pourtant fixent seuls sa pensée : « Ensuite, lorsque la mémoire des jeunes artistes sera approvisionnée, leur imagination nourrie, et leur main affermie, alors qu’ils prennent l’écarlate et l’or, qu’ils rendent la main à leur fantaisie, et qu’ils nous montrent ce qu’ils ont dans la tête. Nous les suivrons partout où ils voudront nous conduire. Nous ne les chicanerons sur rien. Ils sont dès lors nos maîtres et dignes de l’être. Ils se sont placés au-dessus de nos critiques, et nous écouterons leurs paroles en toute foi et humilité, mais non pas tant qu’ils ne se seront pas inclinés eux-mêmes devant une autorité plus haute. » — Il n’est donc ni très choquant, ni très extraordinaire que Madox Brown, qui en savait déjà plus que ses disciples, ne se soit pas astreint à leur méthode, ou que Rossetti l’ait quittée de très bonne heure après une ou deux demi-réalisations, comme l’Annonciation et Trouvé ! et que Millais, quelques années après, ait suivi son exemple. Car il n’est pas un pré-raphaélite qui n’ait, à quelque moment, quitté la méthode réaliste. Et vouloir identifier le pré-raphaélisme à la théorie pré-raphaélite des premiers jours, c’est s’exposer à conclure qu’il a été renié par tous ses adhérens.

Il y avait donc quelque chose de plus durable que la théorie pré-raphaélite. Il y avait une idée qui a uni de plus près les novateurs et les a guidés plus longtemps. Mais pour la trouver,