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de révolutions que l’Espagne, et c’est sans le moindre doute une monarchie moderne que la Restauration de 1875 y a introduite ou ramenée. Elle n’a pu, alors, s’y faire accepter que parce qu’elle était une monarchie ; depuis lors, elle n’a pu s’y maintenir et y prospérer que parce qu’elle a su être bravement et pleinement moderne.


I

A la fin de 1874, l’Espagne était comme affolée, après six ans d’insurrections et de luttes non interrompues, ayant essayé de tout et s’étant dégoûtée ou lassée de tout. Sur la route douloureuse où marchent parfois les nations, elle était allée, traînée par un dictateur, et demandant un roi, et rencontrant une république. Isabelle II s’était enfuie, chassée par Serrano et Topete ; un cadet des Hohenzollern avait failli hériter du trône des Bourbons ; puis don Juan Prim avait fait signe à la maison de Savoie, et Victor-Emmanuel lui avait envoyé Amédée. C’était l’histoire retournée, puisque naguère, l’Espagne, loin de tirer d’Italie ses souverains, peuplait de ses princes les États italiens. Mais une tempête avait apporté le duc d’Aoste, un orage l’avait remporté : la misérable Espagne avait tout essuyé, la tempête et l’orage, et c’étaient pour elle de nouvelles tempêtes et c’étaient de nouveaux orages.

Chaque fois que, faisant halte une minute et croyant reprendre haleine, elle avait espéré s’asseoir au bord de son dur chemin, un général passait, avec un bataillon, qui la jetait brutalement hors de l’abri précaire où elle se reposait. Elle était comme une femme plus convoitée qu’aimée, que se disputent ses prétendans, et qu’ils s’arrachent l’un à l’autre, au risque de la démembrer. Au nord, la guerre carliste : les provinces basques, la Navarre, la Catalogne, tout le pays au-delà de l’Ebre à sang et en flammes ; au sud et vers le sud-est, le fédéralisme, le régionalisme, le cantonalisme ; Carthagène reprise d’hier, Malaga à demi pacifiée, l’Andalousie reconquise, comme s’il y avait eu encore des Maures à chasser de Jaën et de Grenade. Trois armées, au moins, on campagne, et minées par l’intrigue, devant l’ennemi. Entre les deux, entre le nord et le sud, entre le carlisme et le fédéralisme, les fidèles amis de la reine déchue ou de son fils, don Alphonse, neutres et résignés, à s’en fier aux apparences, en secret très actifs et tout prêts.

Comme gouvernement, une république par trop impuissante à donner l’impression d’un gouvernement. Il semblait que, dans l’Espagne vide, il n’y eût plus rien, ni personne. Le chef de ce