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se disait et il disait que, la Restauration et lui, ils subissaient une loi à laquelle obéissent toutes les formes de la nature et de l’esprit, sur cette étroite terre, « grain de sable noyé dans une larme », qui est trop petite pour que les hommes, et les États, et les nations ne fassent pas avec elle, par rapport aux lois de l’univers, une seule matière et une seule poussière. Le mouvement l’emportait, la loi s’exécutait, il ne résistait pas. Tout au plus, en son cœur, conservait-il le vague espoir, lorsque la monarchie cédait une des libertés réclamées, qu’elle n’irait pas jusqu’à la liberté suivante, et, pour la surprendre en défaut, en arrêt ou en recul dans sa transformation, il réclamait toujours la liberté suivante. Après la liberté de l’enseignement, la liberté de la presse ; après la liberté de la presse, la liberté électorale ; après la liberté électorale, c’est-à-dire plus d’honnêteté dans les élections, le suffrage universel, et il comptait sans doute que la Restauration ne franchirait pas cet obstacle. Pendant quelques années encore il se réserva ou se recueillit. Enfin, le 7 février 1888, il prononça devant le Congrès un discours, d’une beauté digne des plus beaux modèles pour l’éloquence et le calme courage :

« Je viens dire, le front bien haut, la voix bien claire et dans une phrase bien simple, que j’appuie ce gouvernement, parce que ce gouvernement donne la liberté religieuse, la liberté scientifique, la liberté de la presse, la liberté de réunion, la liberté d’association, le jury, le suffrage universel. Et je n’ai aucun intérêt à le faire. Je ne puis rien être dans la monarchie, je ne veux rien être dans la monarchie, je ne dois rien être dans la monarchie. Je suis un républicain historique, républicain intransigeant, républicain de toute la vie, républicain par conviction et par conscience. Qui doute de mon républicanisme m’offense et me calomnie : par conséquent, je ne veux rien être dans aucune monarchie. Eh bien ! je viens vous dire : Votre monarchie, avec les libertés qu’elle comporte aujourd’hui, votre monarchie est une monarchie libérale. Sera-t-elle une monarchie démocratique ? Ah ! messieurs, voilà la question. Mais si votre monarchie est aujourd’hui une monarchie libérale, votre monarchie sera demain une monarchie démocratique, en tant qu’elle aura établi le jury populaire et le suffrage universel. Et, comme je l’ai dit aux miens, et ils ne m’ont pas écouté, en certaine nuit célèbre : « Notre République sera la formule de cette génération, si vous réussissez à la faire conservatrice », je vous dis maintenant à vous autres : « Votre monarchie sera la formule de cette génération, si vous réussissez à la faire démocratique[1]. »

  1. Discurso que D. Emilio Castelar dijo en el Congreso de les diputados (7 de febrero de 1888), p. 57.