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son tour crut devoir mêler à ses vins quantité d’alcool, obtenu par la distillation de produits inférieurs, et mécontenta sa clientèle de la Grande-Bretagne.


II

La fraude, le mauvais tripotage des vins, ne datent donc pas d’hier. La plupart des tentatives qui ont été faites dans le passé, les recherches empiriques ayant en vue l’amélioration d’une boisson, — dont l’usage était alors universellement répandu dans les provinces mêmes où l’on boit aujourd’hui du cidre ou de la bière — avaient pour cause le prix élevé des bons vins et la mauvaise qualité des vins ordinaires. Comme il est acquis à la science que le climat n’a pas varié depuis deux mille ans en Europe, que par suite la température ne s’est nullement abaissée, ainsi qu’on l’a quelquefois prétendu, il est aisé de conclure que le raisin récolté en Normandie, en Picardie, en Ile-de-France, n’atteignait qu’à une maturité imparfaite et ne produisait qu’un liquide peu sucré, partant peu alcoolique, susceptible de tourner très vite à l’aigre, et en tous cas incapable de se conserver.

C’est pour ce motif qu’au rebours de ce que nous voyons maintenant, le vin nouveau était toujours plus haut coté que le vin vieux. Ces petits vins, dénués des élémens nécessaires à la solidité, avaient terminé leur fermentation au bout de quelques semaines : il fallait les absorber « tout chauds, » suivant l’expression paysanne, c’est-à-dire avant que l’acide acétique n’y eût fait trop de ravages. On mettait les futailles en perce lorsque le vin avait encore une saveur sucrée, et lorsqu’on les terminait, au moment de la récolte suivante, le breuvage commençait à piquer.

L’usage de boire le vin à la pièce était général. Personne, pas même les seigneurs et les rois, ne mettait au moyen âge son vin en bouteille pour l’y faire vieillir et améliorer, — les bouteilles, du reste, furent très chères jusqu’à nos jours. — C’était un raffinement auquel on n’avait recours que pour certains crus très renommés, pour ces « vins d’honneur » dont les municipalités offraient en pompe un ou deux « flacons » aux notabilités de passage. Encore ces flacons renfermaient-ils le plus souvent des vins de liqueur, la plupart de provenance étrangère : Chypre ou Malvoisie. Parfois on versait du miel dans les boissons qui menaçaient de se perdre ; ou bien on les consommait sous forme de soupe, à titre d’aliment tonique.

Cette incapacité à produire de bons vins, qui était le partage de beaucoup de nos provinces où l’on a renoncé à en faire, et de