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avec effroi le phénomène de deux bonnes récoltes consécutives, parce que, disait-il, « le prix des vins sera si modique qu’il ne saurait faire face aux frais des travaux et des impositions. »

Dès cette époque cependant le mouvement d’émigration de la vigne vers le sud se poursuivait concurremment avec le progrès des moyens de transport. Même il devançait quelque peu ce progrès, si bien que la production du raisin demeurait peu avantageuse aux Méridionaux. Ce fut surtout depuis le commencement du XIXe siècle que le vin se concentra dans les pays auxquels il était devenu vraiment profitable. Les environs de Paris se dépeuplèrent de leurs ceps. Tel arrondissement de l’Aisne, où l’on comptait en 1789 400 arpens de vigne, n’en avait plus que 250 en 1810, 160 en 1845, et 50 en 1870. Une semblable localisation se poursuivit dans les départemens du centre et du midi. Les vignes disparurent des cantons montagneux, froids ou pluvieux du Puy-de-Dôme, du Dauphiné, du Limousin. Par une appropriation plus judicieuse du sol, on obtint une boisson meilleure, et, par une application raisonnée des découvertes contemporaines, on apprit à en tirer un parti plus avantageux.


III

Ces découvertes portent à la fois sur la quantité et sur la qualité des boissons. Les premières, depuis quelques mois, semblent non seulement indifférentes, mais haïssables à la masse ingrate de nos concitoyens. La reconstitution du vignoble français, aujourd’hui presque achevée et à la veille de dépasser peut-être, si les plantations continuent avec trop d’ardeur, les besoins réunis de la consommation et de l’exportation ; une récolte exceptionnelle brochant sur le tout, font oublier à l’opinion publique que depuis quinze ans nous avons souffert du manque de vin, et qu’il eût été bien plus sensible encore si l’on n’y avait remédié par le vinage, le sucrage, le raisin sec.

La pléthore d’aujourd’hui, les vins descendus un moment à 30 francs l’hectolitre en des crus honorables de Bourgogne ou du Bordelais, et à 6 francs dans les caves plus modestes de l’Hérault, nous ont enlevé tout souvenir de la disette d’hier. A peine sortons-nous d’une période où, nos futailles nationales vidées par le phylloxéra, nous avons été réduits, nous, les fournisseurs du globe, à nous faire abreuver par nos voisins plus heureux ; si bien que l’Espagne où le vin ordinaire, il y a trente ans, était moins estimé que l’eau, où l’on donnait souvent un litre de jus de raisin pour un verre d’eau fraîche et où l’on allait — ô Bacchus ! — jusqu’à employer