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d’une énergie apparente furent rapidement décidées. Une réquisition formelle fut envoyée à Londres, exigeant la restitution immédiate des bâtimens saisis, le refus ou même le retard devant être considéré comme la déclaration formelle de l’état de guerre ; le commandement des côtes de l’Océan fut confié au maréchal de Belle-Isle, chargé de tenter avec un corps d’armée de quarante mille hommes l’entreprise tant de fois et toujours inutilement essayée d’un débarquement ; toutes les forces maritimes de la Méditerranée furent mises sous les ordres du duc de Richelieu, récemment fait maréchal, et pour décider ce qu’on aurait à faire sur le continent, le départ de Nivernais fut enfin résolu. Le duc d’ailleurs lui-même, qui en avait d’abord pris un peu trop à l’aise, commençait à s’impatienter du retard.

Restait à rédiger ses instructions. Nous en avons le texte : c’est un cahier très volumineux, et quand on songe que le ministre qui dut le signer était le même qui, dans le comité secret de Versailles, devait en qualité de préposé aux Affaires étrangères, prendre une part active et même principale à la discussion du projet autrichien, il est impossible d’en achever la lecture sans une véritable surprise. Assurément il n’était pas possible de faire confidence à Nivernais d’un projet encore informe et sur lequel un secret inviolable avait été promis à Marie-Thérèse[1]. On n’aurait pu le faire sans la prévenir et sans demander un consentement qu’elle n’aurait assurément pas donné à un voyageur partant pour causer d’une alliance à renouveler avec Frédéric ; mais il y a en ce monde manière de tout dire et surtout de tout faire entendre. Il était possible cependant de ne pas mettre en opposition directe le langage que Nivernais était chargé de tenir à Berlin avec celui de Bernis au Luxembourg. On pouvait éviter de donner ainsi, soit à l’un, soit à l’autre des deux représentans de la France, une apparence de duplicité blâmable ou de duperie ridicule. Cette réserve était d’autant plus facile à observer qu’il n’y avait au fond rien de contradictoire dans la double conduite prescrite à ces agens. La France s’était positivement refusée à prendre aucun engagement qui pût porter atteinte à la situation de Frédéric en Allemagne ; et l’attitude de neutralité jusque-là observée par Marie-Thérèse dans la lutte qui allait s’engager rendait naturel qu’on n’eût pas voulu absolument fermer l’oreille à ses propositions. On pouvait donc

  1. L’aimable écrivain qui se cache sous le nom de Lucien Percy, et qui a consacré à la vie du duc de Nivernais un très intéressant volume, ne veut pas croire qu’on ait laissé ignorer au duc la négociation avec l’Autriche. Le fait, bien que singulier, est pourtant certain. La correspondance de Nivernais avec Rouillé ne laisse à cet égard aucun doute.