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déjà servi de fond aux homélies en plein air, aux cantiques printaniers de saint François. C’est qu’avec la Renaissance, la nature, qu’elle aimait, avait été maudite. On ne louait plus le soleil, dont on avait peur ; on craignait les fleurs où le serpent se cache, et sous les arbres dont on fuyait l’ombre douce, on ne prêchait plus aux oiseaux.

Des textes sacrés qu’elle traduit, la musique de Palestrina ne cherche donc que l’essence et comme la moelle spirituelle. Elle exprime l’idée et non la figure, et lorsque Vincenzo Galilée appelait Palestrina quel grande imitatore della natura, c’est de la nature humaine qu’il entendait célébrer l’interprète. L’intériorité ou la subjectivité de cette musique vient en grande partie de ce qu’elle est exclusivement vocale. De tous les instrumens ou de tous les organes de l’expression musicale en effet, la voix est sans contredit le plus direct et le plus intime, le plus proche du cœur et celui qui lui ressemble le plus. Voilà pourquoi la musique palestinienne, mieux que toute autre, justifie la définition que donne de la musique en général un théoricien allemand : Kunst der Innerlichkeit, l’art de l’intérieur. Elle est, par sa constitution même, un art de réflexion plus que d’action et de drame ; elle est représentative des faits et des choses beaucoup moins que des sentimens ; elle est une douceur qui pénètre plutôt qu’une force qui va ; elle est la musique de la prière, et surtout de la méditation. Cela tient à deux de ses élémens essentiels : d’abord elle aime à diviser le temps avec égalité, le plus souvent avec lenteur ; en outre elle trace dans l’espace des lignes presque horizontales, ou du moins très peu brisées. Ecoutez, regardez seulement une partition de Palestrina. Qu’entendez-vous et que voyez-vous ? Un tempo tantôt modéré, tantôt lent, très lent même ; parfois un allegro ; de presto, jamais. Des notes longues : des rondes, des blanches, des noires, suivent sans hâte ces rythmes calmes ; les croches sont rares ; quant aux doubles croches, il n’y en a pas une seule dans la Messe du pape Marcel, et l’on n’en trouverait peut-être pas quatre de suite, à coup sûr pas une mesure entière, dans tout un volume de motets.

Il est, dans un livre, trop peu lu, de M. Sully Prudhomme[1], une page d’esthétique comparée, qui nous revenait à la mémoire un jour que nous écoutions à Saint-Gervais les admirables répons de Palestrina pour la Semaine-Sainte. « Chaque note, écrit le poète-philosophe, chaque note dans une phrase musicale constitue par le timbre, la hauteur et l’intensité une sensation

  1. L’Expression dans les Beaux-arts ; Lemerre.