En voici un autre, celui-ci d’ordre purement intérieur, où rien du dehors n’intervient :
« Peccantem me quotidie et non me pœnitentem, tlmor mortis conturbat me, quia in inferno nulla est redemplio. Miserere met Deus, et salva me !
Péchant chaque jour et ne me repentant pas, la crainte de la mort me trouble, parce qu’en enfer il n’y a pas de rédemption. Ayez pitié de moi, Seigneur, et sauvez-moi[1] ! »
Une telle prière n’a rien que d’abstrait, et si pour nous comme pour Baini ce motet l’emporte sur la plupart des autres par le sentiment, le pathétique et « l’imitation de la nature », c’est uniquement la nature spirituelle dont il faut admirer et étudier ici l’imitation. Peccantem me quotidie ; les voix, confessant ainsi l’habitude et l’habitude journalière du péché, commencent par répéter trois fois les premières paroles ; tout bas d’abord : l’idée s’éveille à peine ; plus haut ensuite et enfin avec l’énergie triplée d’un meâ maximâ culpâ. Fortement accentué, le : et non me pœnitentem marque l’apogée du crescendo musical, parce qu’il exprime aussi le paroxysme du sentiment : le non-repentir de la faute, pire que la faute même, l’endurcissement et l’orgueil d’avoir voulu le mal, de l’avoir commis et de le soutenir. Puis le : timor mortis éclate en accords plus riches et d’une plénitude superbe, en notes cuivrées, comme si des trombones les lançaient. Et brusquement à cet éclat répond une plainte ; non pas même un cri : un soupir, soupir de misère, de délaissement, de peur, et d’une peur d’enfant, tant il est frôle. In inferno nulla est redemptio. Quel est cet enfer, et comment la musique le représente-t-elle ? Aux jours de pénitence, quand le motet de Palestrina se chantait dans la chapelle Sixtine, devant la fresque de Michel-Ange, de l’enfer celle-ci donnait l’image et celui-là donnait l’idée et l’idée seulement. Ces cinq voix chantent la tristesse morne, l’éternelle peine, mais ne figurent aucune souffrance, aucun supplice matériel. Pas de violence ici, pas de pleurs ni de grincemens de dents ; pas de membres tordus par la souffrance. Le corps et la chair sont absens de cet art ; l’urne seule y est présente et sensible, l’âme à jamais malheureuse et dénuée de Dieu, et pleurant ce dénûment qui ne doit point finir. — Puis un long silence règne, comme s’il n’était en effet plus de rédemption. Il en est une pourtant, qu’un mot suffit à nous monter, et ce mot : miserere ! avec quelle humilité il vient alors se poser sur une note haute de soprano ! Et salva me ! redisent les voix. Elles se font tendres, caressantes même, elles
- ↑ Anthologie des maîtres religieux primitifs, 1re année, livre des Motets, p. 4.