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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 125.djvu/882

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aménagés d’après les méthodes les meilleures et les plus nouvelles. Les professeurs, hommes et femmes, logent au dehors ; personne ne demeure au collège que les étudiantes et leur directrice, miss M. Carey Thomas, qui porte avec infiniment d’autorité aimable le titre imposant de dean, doyenne. Peut-être sa connaissance parfaite de notre langue, de notre littérature, de tout ce qui est français, y est-elle pour quelque chose ; mais le type de la femme de l’avenir, celle qu’a pressentie Tennyson, « maîtresse d’apprendre et d’être tout ce qu’elle peut être et devenir, sans sortir de sa nature de femme », sans ressembler à « un homme ébauché », sans que la pensée étouffe en elle la grâce, m’a paru incarné d’une façon tout particulièrement séduisante chez le dean Thomas. Secondée par des femmes jeunes, actives, dévouées, que leur grande fortune met d’ailleurs au-dessus de toute préoccupation sordide, elle donne évidemment la plus noble impulsion à un groupe d’étudiantes dont le nombre ne dépasse guère 150. Il ne faut pas croire qu’en Amérique tous les brevets, — décernés dans le collège même, contrairement à l’usage français, — aient une valeur égale : on leur attribue d’autant plus de prix que le collège occupe un rang plus haut. Un certificat de Harvard par exemple ouvre toutes les portes à qui le possède, et c’est aussi une inestimable distinction que d’avoir suivi les cours classiques, scientifiques ou littéraires de Bryn Mawr. Le monde sait qu’aucun désir de paraître, aucune frivolité, aucun à peu près ne se mêle à l’enseignement, comme il peut arriver autre part, et que la femme qui sort de là master of arts, voire même doctor of philosophy, est tout de bon munie du bagage d’un licencié ou d’un docteur. Elles sont non seulement sérieuses, mais fort attrayantes, ces jeunes graduées, sous la toge noire et le bonnet carré qu’elles portent dans l’enceinte du collège et qui les fait ressembler à la Portia de Shakspeare. Leur existence me paraît à tous les points de vue délicieuse : la liberté de la campagne, le recueillement désirable pour travailler sans aucun souci, le voisinage d’une grande ville avec ses ressources artistiques et autres, dont rien ne les empêche de profiter, quatre mois de vacances permettant des voyages, une installation du plus parfait confort, des professeurs triés sur le volet et tous les moyens sans exception de se développer au moral comme au physique, voilà leur partage. Dans le vaste gymnase, j’ai vu Portia dépouillée de sa robe de docteur et s’appliquant aux exercices qui empêchent le corps d’être opprimé par l’esprit. Des culottes bouffantes très courtes montraient hardiment la jambe bien faite ; une blouse russe rentrée dans la ceinture de cuir dessinait une taille