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— Nous ne pouvons pas, mon mari et moi, vous en dire du mal, puisque nous nous sommes rencontrés et aimés au collège.

La fille aînée de mon hôte s’est mariée de la même façon, après avoir conquis tous ses diplômes.

Oui, beaucoup de mariages se décident au collège ; est-ce un mal ? Vaut-il mieux se rencontrer dans le monde, en pleine frivolité ? Ne se connaît-on pas beaucoup mieux et sous des aspects plus intéressans lorsque pendant des années on étudie ensemble ?

— Mais ce sont des mariages prématurés.

— Non pas, ils n’ont lieu que quand la situation de l’homme est faite. La constance des deux parties est souvent mise à longue épreuve.

— Et l’amour ne vous distrait pas du travail ?

Cette réflexion bien française fait sourire. Un Américain ne pense à la femme qu’après avoir pensé à ses devoirs sérieux et d’abord aux moyens de faire vivre cette femme. L’exemple du très jeune président de Knox, qui a remplacé depuis peu un homme universellement estimé que son âge forçait au repos relatif, l’exemple brillant, presque unique d’une situation si considérable atteinte à trente ans, prouve que des fiançailles au collège n’empêchent pas les grands efforts et les grands succès.

On me demande si j’ai rien vu, soit au collège, soit en ville, qui m’ait fait pressentir aucun des inconvéniens dont je parle. Assurément non. Eh bien, c’est qu’il n’y a rien ! L’atmosphère de Knox est claire et saine. Chacun respecte la dignité de chacun sans l’intervention de règlemens rigoureux. Les nouveaux venus sentent cela très vite, ils comprennent ce qu’on attend d’eux et tout naturellement s’y conforment.

On me parle des hommes distingués que Knox-College a fournis dans des départemens divers : les ministres de l’Evangile et les professeurs dominent, c’est-à-dire les gens qui font le moins de cas des jouissances matérielles de ce monde, qui tiennent le plus à la vie de l’esprit.

Ma conclusion, après avoir tout écouté, est que le système ne réussirait pas dans une ville plus grande, où ne pourrait s’exercer une police morale incessante, où les influences religieuses seraient moins directes, où il y aurait des tentations ou seulement des distractions. Les mœurs encore primitives de l’Ouest permettent la réalisation de ce qui serait ailleurs une utopie. Beaucoup d’autres collèges y existent fondés sur les mêmes bases que celui de Knox, et ceci atteste une droiture d'âme, des vertus fraîches et robustes auxquelles il m’a semblé que l’Amérique plus complètement européanisée de l’Est ne rendait pas assez justice. Des