Aussitôt le feu cessa de notre côté. Quelques minutes après nous vîmes plusieurs officiers s’avancer au milieu de la place de la Bastille, pour conférer avec les délégués des insurgés. La conférence fut rapide et définitive. La paix était signée. Nous en accueillîmes la nouvelle avec une joie profonde, par humanité, par lassitude et par horreur du sang versé.
Avions-nous le droit d’occuper déjà la grande barricade dont on racontait tant de merveilles, dont le mystère nous attirait depuis le matin ? Je ne sais si nous étions en règle. Mais, comme nous en étions les plus rapprochés, nous y entrâmes résolument sans en demander la permission à personne. On trouva sans doute que nous étions trop pressés, et on nous tira encore quelques coups de fusil du haut des fenêtres du faubourg. Nous pûmes heureusement nous défiler dans les tranchées profondes qui avaient été creusées entre les pavés et dont la combinaison nous parut à ce moment-là singulièrement ingénieuse. Ce fut le dernier soupir de l’insurrection. Tout le quartier rentra dans le silence.
Tout n’était pas fini cependant. Il restait à délivrer deux représentans du peuple faits prisonniers par les insurgés et à rétablir la circulation dans le faubourg, en démolissant les barricades. Je fus chargé de cette double mission. Je pris avec moi deux sous-officiers et vingt-cinq gardes mobiles, que je choisis avec soin parmi ceux qui avaient montré depuis le matin le plus de résolution et de courage. Je recommandai la plus grande prudence. Nous allions entrer en contact avec une population qui deux heures auparavant portait presque tout entière les armes contre nous. Notre attitude ne devait avoir rien de provocant : nous remplissions un devoir pacifique, notre petit nombre l’indiquait ; mais il ne fallait pas qu’on surprît chez nous le moindre signe d’hésitation ou de faiblesse. Aucun de nous ne devait oublier que nous étions l’avant-garde d’une armée victorieuse.
Les merveilleux enfans de Paris qui me suivaient comprirent à demi-mot, avec l’intelligence aiguisée de leur âge et de leur race. Ils montrèrent ce qui convenait le mieux aux circonstances, une parfaite bonne humeur, la joie sincère d’en avoir fini avec les angoisses et les souffrances de la bataille. La population nous accueillit de son côté avec une satisfaction visible. Les commerçans du quartier, qui avaient souffert beaucoup de privations, ne demandaient pas mieux que de rentrer en communication avec le grand Paris dont ils étaient séparés depuis plusieurs jours. Si quelques-uns d’entre eux avaient été des volontaires de l’insurrection, la plupart l’avaient plutôt subie crue désirée. Nous leur apportions la paix, le retour à leurs occupations, à leurs