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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 octobre.


Depuis quinze jours, toutes les préoccupations sont tournées du côté de Livadia. Des événemens se sont passés ailleurs qui ne manquent ni d’importance ni de gravité, mais dont l’intérêt pâlit devant celui qui s’attache à la santé profondément atteinte de l’empereur Alexandre III. La nouvelle de sa maladie s’est répandue avec une soudaineté qui lui a donné un caractère tragique. On le savait malade, et son état inspirait même de l’inquiétude, mais on était convaincu que sa forte constitution triompherait d’un mal dont la nature était alors ignorée. Le départ précipité des membres de la famille impériale qui se trouvaient en France a révélé tout le danger, et on s’en est même exagéré l’imminence. Les vœux et les prières de centaines de millions d’hommes, non seulement en Russie et en France, mais dans toute l’Europe, ont entouré l’auguste malade d’une atmosphère de sympathie. On croit facilement à ce qu’on désire ardemment : on a donc cru qu’il était encore permis d’espérer, et ce sentiment est trop respectable pour que nous disions rien qui puisse le décourager.

Après la Russie, c’est la France qui a éprouvé l’émotion la plus profonde en apprenant la maladie d’Alexandre III. D’un bout à l’autre du pays, dans les villes et dans les campagnes, dans les châteaux et dans les chaumières, le sentiment a été le même : nous n’en avons jamais constaté de plus général. Les hommes politiques et les diplomates se sont demandé si le malheur dont on était menacé n’aurait pas un contre-coup fâcheux sur nos relations avec la Russie, et ils se sont rassurés en songeant à la permanence des intérêts qui ont rapproché les deux nations. Ce rapprochement n’a pas été, de la part de l’empereur Alexandre III qui en a pris l’initiative, le résultat d’un caprice personnel, mais bien d’une haute raison politique. Le tsar voulait le maintien de la paix. Il a jeté les yeux autour de lui : il a vu, d’un côté, la triple alliance politiquement et militairement organisée, soit pour la paix, soit pour la guerre, et qui constituait une puissance immense, mais sans contrepoids. En dehors d’elle, aux deux extrémités du monde européen, la France et la Russie étaient isolées. Elles n’étaient séparées par aucun intérêt fondamental, elles l’étaient seulement par des