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occasionnée par notre intervention en faveur des colonies américaines était dissipée, car, loin de nuire au commerce anglais, cette émancipation avait procuré à l’ancienne métropole un surprenant essor de prospérité. D’ailleurs la plupart des hommes d’Etat anglais avaient reconnu la légitimité des griefs des colons. A aucun moment une alliance, à ne considérer que les choses en elles-mêmes, ne parut plus facile à nouer.

Par malheur le roi George III, prince borné, ignare, despote, superstitieux, nous détestait avec d’autant plus de ténacité qu’il ne nous connaissait pas du tout. Un secours puissant vint le confirmer dans ses malveillances. L’homme ; d’Etat, alors une des autorités les plus reconnues par la transcendance du savoir, l’éloquence et la puissance de l’esprit, Edmond Burke, affaissé par la perte d’un fils unique, l’esprit fatigué par une vie de travail, accueillit notre mouvement de 1789, qui aurait dû l’enthousiasmer, par un véritable accès de frénésie maladive. Dès la Constituante, alors que la période des crimes n’avait pas commencé, il publia contre la Révolution française des réflexions indignes de son génie, d’un véritable fou. Il rompit son amitié avec Fox qui refusa de s’associer à ses diatribes.

Encouragé dans ses sentimens personnels par ces attaques véhémentes, le roi se prononça ouvertement contre la Révolution. Après le 10 août, dès que la République eut été proclamée, il rappela son ambassadeur de Paris. Or, dans le traité de 1786, qui réglait les relations des deux pays, il avait été stipulé « que le rappel ou le renvoi des ambassadeurs ou des plénipotentiaires respectifs serait considéré comme l’équivalent d’une déclaration de guerre. » Néanmoins le gouvernement de la République était tellement attaché à l’alliance, que, loin de répondre à cette rupture par des hostilités, il se mit presque à genoux pour les empêcher[1]. Son ambassadeur, maintenu malgré tout à Londres, se soumit bénévolement à toutes les humiliations, jusqu’à ne pas se blesser du renvoi sans réponse de deux de ses lettres et l’une par un simple commis du Foreign Office. Il ne partit que sur l’ordre brutal du gouvernement anglais, après l’exécution de Louis XVI. « Comme si ce n’était pas l’Angleterre qui, cent quarante ans auparavant, avait la première donné à l’Europe le spectacle d’un roi décapité et qui, dans sa vie historique, avait détrôné, banni, exécuté plus de rois que tout le reste de l’Europe[2]. »

Pitt, par faiblesse envers la cour, s’associa à une politique qui n’était pas dans ses idées, et alors « commença la guerre la plus détestable, la plus injuste, la plus atroce que l’Angleterre

  1. Cobden, 1793 et 1853.
  2. Cobden, ibid.