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veut pas d’autre. Les seigneurs, au nombre de quatre, ne trouvent aucun moyen de faire disparaître ce fauconnier gênant. L’absurdité éclate non moins flagrante dans les détails de l’œuvre. C’est dès le premier acte l’attitude de cette mère qui, au lieu de s’élancer et de porter à son fils un secours inefficace, reste immobile. C’est ensuite cet étrange couvent de femmes où se donnent rendez-vous tous les mousquetaires de l’endroit. C’est la confiance d’Almerio qui dort dans sa cabane, la porte ouverte, sans craindre qu’on en veuille à ses jours. C’est la naïveté des traîtres qui exposent complaisamment leurs vilains projets. C’est l’heureuse coïncidence qui fait que Gismonda se trouve là juste à point pour massacrer celui qui a failli lui tuer son enfant et qui s’apprête à faire périr son futur époux. C’est enfin au dernier acte cet intérieur d’église où tout le monde va et vient, parle et crie, cependant qu’à l’autel l’officiant récite des paroles qui, paraît-il, — et nous nous en rapportons sur ce point à l’autorité de M. Jules Lemaître, — ne figurent dans aucune liturgie.

Les personnages sont dénués de toute réalité. Ce sont personnages de théâtre tenant un emploi, jouant un rôle. Encore ce rôle est-il souvent inutile. Les gentilshommes qui entourent Gismonda sont moins que des soupirans, ce sont des figurans. Ils sont sans caractère et sans physionomie. Le seul qui tranche un peu sur la commune uniformité, Zaccharia, est « le traître », pareil à tous les traîtres de tous les mélodrames, à la fois odieux et maladroit. Almério est le « personnage sympathique ». Il est brave et loyal, fort et généreux, violent et doux, subtil et bon… ah ! si bon ! adorablement bon, soupire Gismonda qui de son côté vient d’être pour lui très bonne. Pour ce qui est enfin de Gismonda, ce n’est pas telle femme en particulier, ayant sa nature, son tempérament, son caractère, c’est une femme quelconque obéissant aux mêmes mobiles auxquels toute femme a coutume de se rendre ; d’une façon très générale, et sans qu’il y ait heu de préciser davantage, c’est une femme.

Le duel sentimental qui met aux prises Almerio et Gismonda fait l’intérêt psychologique du drame. Almerio est un simple fauconnier, Gismonda est une duchesse. Elle est séparée de celui qui a l’audace d’aspirer à sa main par toute la distance que le préjugé nobiliaire peut mettre entre deux êtres placés aux extrêmes de la société. Il y a entre eux un abîme. Comment cet abîme va être comblé, et comment peu à peu Almerio va triompher du mépris que la duchesse d’Athènes ne pouvait manquer d’éprouver pour lui, c’est toute la pièce. Or ce fauconnier est d’abord le sauveur du fils de Gismonda ; c’est donc la mère qui s’émeut pour lui, pénétrée d’une reconnaissance contre laquelle rien ne prévaudra, non pas même l’horreur que lui inspirent les audacieuses prétentions de ce manant. Puis Almerio livre bataille aux pirates, les