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la retirer pour échapper au vote qui devait la clore ; mais elle a été aussitôt reprise par plusieurs membres du centre, et une majorité écrasante a approuvé les explications et la conduite de M. le ministre de l’instruction publique. Un doute pourtant, une inquiétude subsiste dans les esprits. Comment M. Robin a-t-il pu rester si longtemps à la tête de l’orphelinat de Cempuis ? L’acte odieux que nous avons relaté, et qui, finalement dénoncé par un tiers, a été l’objet d’une condamna-lion judiciaire, date de plus de dix ans. N’a-t-il pas été connu de l’administration supérieure ? Et, s’il l’a été, comment M. Robin n’a-t-il pas été révoqué aussitôt ?

On le voit, le ministère devait sortir facilement victorieux de ces interpellations maladroites. Celle qui a été adressée à M. le ministre de la guerre était plus sérieuse et, dans d’autres circonstances, elle aurait eu sans doute un dénouement moins favorable. La question se réduit à des termes très simples. Il y a plusieurs mois, sur le conseil de quelques membres de la commission de l’armée, justement effrayés des accroissemens numériques opérés dans l’armée allemande, M. le général Mercier a voulu augmenter aussi le chiffre de l’effectif sous les drapeaux. Il a donné des instructions aux conseils de révision pour qu’on incorporât un plus grand nombre d’hommes, en se montrant moins rigoureux sur les conditions d’aptitude physique. C’est ce qui a été fait. La conséquence naturelle était la nécessité d’une augmentation de crédits, que M. le général Mercier a demandée dans un premier budget : elle s’élevait à une douzaine de millions. Puis, que s’est-il passé ? M. le ministre des finances a prié ses collègues de faire à tout prix des réductions dans leurs prévisions de dépenses, et il l’a obtenu en particulier de M. le général Mercier. Dès lors, on avait, ou du moins on allait avoir sous les drapeaux plus d’hommes qu’on ne pouvait en entretenir. Cette impossibilité matérielle devait se présenter au commencement de novembre, c’est-à-dire au moment de l’incorporation de la classe. M. le ministre de la guerre n’a pas trouvé d’autre moyen d’y échapper que d’ordonner des libérations anticipées parmi les soldats des classes antérieures qui avaient tiré les numéros les plus élevés : il a pris dans ce sens un arrêté et écrit une circulaire. La mesure était-elle légale ? La majorité de la commission de l’armée a jugé que non, mais l’unanimité de cette commission a été d’avis que la mesure était déplorable et qu’elle affaiblissait la force actuelle de notre armée. Et cela pour deux motifs. Le premier est que le hasard des numéros les plus élevés faisait sortir des rangs des hommes qui avaient été répartis en plus grand nombre dans tel régiment que dans tel autre, et dont quelques-uns étaient gradés. Il en résultait un trouble inégal, mais d’autant plus profond, dans nos régimens et une dislocation partielle de nos cadres inférieurs. Le second motif était qu’on libérait, au bout d’une année ou deux de service, des hommes instruits et valides, pour les