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on peut s’en souvenir, avait tenu à établir que, par suite des exigences excessives de l’Angleterre et de sa réconciliation suspecte avec la Prusse, l’Autriche n’avait plus que le choix entre un complet isolement ou un rapprochement avec la France.

Par le rappel de Nivernais, la France se trouvait réduite à son tour à une alternative pareille. Du moment où elle avait dû renoncer à renouveler avec Frédéric une alliance dont l’esprit était dénaturé, et qui n’aurait présenté qu’une apparence sans dignité, il ne lui restait plus à choisir qu’entre l’isolement ou un rapprochement avec l’Autriche.

C’était cette similitude de position, aperçue d’avance par le chancelier autrichien, qui lui avait inspiré la confiance de mettre la main à l’exécution du grand dessein dont il méditait depuis tant d’années l’accomplissement. L’alliance des deux cours de Vienne et de Paris leur était, suivant lui, conseillée, presque commandée par un intérêt égal et des dangers de même nature auxquels ni l’une ni l’autre ne pouvaient rester insensibles.

Il y avait pourtant sous cette ressemblance, si justement prévue par le coup d’œil politique de Kaunitz, deux différences considérables, tout à l’avantage de l’Autriche.

D’abord, on n’avait à Vienne aucune nécessité de se préoccuper pour l’heure présente d’une lutte armée à soutenir. Si la solitude en face d’un voisin hostile et sans scrupule était regardée à juste titre comme un état incommode et inquiétant, on avait le temps de se préparer au danger encore éloigné qui pouvait en sortir, et de se pourvoir d’avance de toutes les ressources possibles pour y faire face. La France, au contraire, était sous le poids d’une charge très lourde : c’était une guerre déjà engagée contre un ennemi redoutable avec des chances douteuses et dans des conditions inégales. L’issue même en fût-elle heureuse, le lendemain trouverait le vainqueur épuisé d’hommes et d’argent, hors d’état pour longtemps de soutenir aucune épreuve nouvelle. C’était l’avenir seul qui menaçait l’Autriche : la tâche imposée à la France était présente et pressante.

De plus, la convention conclue à Westminster entre la Prusse et l’Angleterre causait à la France un dommage grave et immédiat, puisque son adversaire se trouvait par là délivré du soin de veiller à des possessions germaniques qui lui étaient chères, et recouvrait la libre disposition des auxiliaires de toute nature qu’il pouvait recruter en Allemagne. C’était, en réalité, une intervention indirecte faite en pleine guerre en faveur d’un des combattans contre l’autre.

Le tort causé par la même convention à l’Autriche, sans être nul assurément, était loin pourtant de présenter le même caractère.