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on recherchait l’accession de quelques-unes, ce serait celles sur lesquelles l’impératrice pourrait compter pour entrer dans les vues d’avenir auxquelles elle n’entendait nullement renoncer. Puis, il devait être convenu que la discussion sur ces vues elles-mêmes n’était que momentanément ajournée et serait reprise dès que le traité défensif, qui n’était que le premier acte de ce grand drame, aurait été conclu et connu.

Ces termes durent être communiqués par Stahremberg, et on lui enjoignit d’y donner un caractère d’ultimatum, plus pour la forme que pour le fond, moins pour prévenir un nouveau refus qui n’était guère à craindre que pour mettre fin à tout débat et s’opposer à toute temporisation nouvelle.

« Je me souviendrai toute ma vie, dit Bernis, que ce fut le vendredi saint que le comte de Stahremberg vint me faire part des dépêches qu’il avait reçues ; j’avais été saigné quatre fois, j’étais d’une faiblesse extrême : c’est dans cet état que le ministre impérial me déclara que sa cour, justement alarmée du refus que nous avions fait de l’acte de neutralité, demandait pour se rassurer sur les intentions du roi, que non seulement la convention de neutralité fût signée, mais aussi un traité d’alliance défensif, faute de quoi l’impératrice également exposée du côté de la cour de Prusse et du côté de celle de Londres, dont elle avait refusé d’adopter les mesures, se verrait obligée de renouer avec ses anciens alliés[1]. »

Il n’y avait, comme je crois l’avoir fait comprendre, rien à répondre à cet argument ou plutôt à cette menace, la faiblesse de la situation de la France était de n’en pouvoir opposer de pareils puisqu’elle n’avait point d’anciens alliés avec qui il lui fût possible de renouer. Aussi le vendredi saint tombant cette année le 16, moins de trois jours après, le 19, un conseil était solennellement convoqué chez le roi, auquel durent prendre part tous les ministres, aussi bien ceux qui avaient le secret de la négociation que ceux qui n’en avaient encore aucune connaissance. À ces conseillers ordinaires, dont le maréchal de Belle-Isle ne faisait que récemment partie, étaient joints le maréchal de Noailles, éloigné maintenant par son grand âge de tout service actif, et Puisieulx, l’auteur même du traité d’Aix-la-Chapelle, appelé à voir sortir de son œuvre cette conséquence inattendue[2].

Bernis eut la parole pour faire connaître l’objet du conseil.

  1. Mémoires de Bernis, t. I, p. 264.
  2. Il n’y eut, comme on voit, entre la notification faite par Stahremberg à Bernis et la convocation du Conseil, qu’un intervalle de trois jours. C’est donc à tort que Bernis soutient qu’il passa plus d’une semaine à s’épuiser en efforts pour amener d’avance les membres du Conseil à ne pas faire d’opposition à la signature du traité défensif. Ce n’est pas la seule inexactitude que j’aie eu à relever dans le récit de Bernis.