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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 126.djvu/521

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de Dresde où il résidait, tenait l’oreille au vent, et entendait retentir des deux côtés le bruit des armes. On parut songer alors pour la première fois que deux têtes aussi fières et aussi chaudes que celles qui se faisaient face ainsi l’une à l’autre, pouvaient échanger autre chose que des complimens. Un défi lancé d’une part et relevé de l’autre, c’était assez pour qu’un appel fût fait au secours promis par le traité. Il était vraiment temps d’y songer. Valori fut donc chargé de prévenir le roi de Prusse que, s’il attaquait l’allié de la France, la France se verrait obligée de le défendre. Une commission désagréable était toujours difficile à accomplir auprès de Frédéric, et Valori, qui connaissait l’épreuve, le savait mieux que personne. Il se présenta donc timidement et fit sa commission d’un ton bas et d’une voix hésitante. « Voilà qui est bien, monsieur, dit le roi, voilà qui est bien », et il lui tourna le dos. À la vérité, le lendemain il lui fit parvenir, par son ministre Podewils, une justification en assez bons termes de sa conduite et un exposé de ses griefs contre l’impératrice. Mais, Valori ayant voulu profiter de cet intermédiaire plus poli pour faire parvenir encore quelques conseils de modération : « Les propos de Valori sont d’un sot, répondit le roi, communiquez-lui la réponse de Vienne[1]. »

Elle était arrivée, en effet, cette réplique hautaine, et ce ne fut pourtant pas encore la dernière parole échangée dans cette suprême veillée des armes. Il y eut une dernière sommation adressée à l’impératrice, mais celle-là si singulièrement outrageante qu’il n’était pas même besoin de la relever. On a peine vraiment à comprendre par quel plaisir de bravade et de cynisme inutile Frédéric osa faire dire à une femme, et à une souveraine, qu’il exigeait d’elle « une déclaration formelle et catégorique donnée par écrit ou en présence des ministres de France et d’Angleterre, qu’elle n’avait nulle intention de l’attaquer ni cette année ni la suivante. » Quelle valeur (autre que le plaisir d’humilier une ennemie) aurait pu avoir à ses yeux une parole donnée dans des conditions qui en auraient fait une sorte de pénitence et de confession publiques ? Une dénégation dédaigneuse était commandée à Marie-Thérèse par le soin de sa dignité. Elle s’appliqua cependant encore à la rédiger en termes assez bien ménagés pour laisser à la question insolente qui lui était posée son caractère odieux de provocation, et en envoyant le texte à Stahremberg, elle ne manqua pas d’ajouter que, sans se dissimuler les périls d’une lutte à laquelle rien ne la préparait, « elle aimait mieux pourtant

  1. Rouillé à Valori, 15 juillet. — Valori à Rouillé, 29 juillet 1756 (Correspondance de Prusse : ministère des Affaires étrangères). — Mémoires de Bernis, t. II, p. 200. — Pol. Corr., t. XIII, p. 69.