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moderne et la petite propriété peuvent, au contraire, coexister, faire très bon ménage ensemble et se rendre de mutuels services.

La grande propriété est très utile aux petits propriétaires qui l’entourent; elle leur fournit de bonnes journées et leur permet de ne consacrer à la culture de leur champ que les heures surérogatoires, dont le produit, quel qu’il soit, est en quelque sorte tout profit pour eux.

La grande propriété moderne rend, en outre, à la petite propriété de précieux services intellectuels et moraux. Elle instruit la petite propriété; elle lui donne des leçons de choses, elle lui fournit des modèles. Souvent aussi elle lui prête des instrumens ou lui avance des semences et des plants.

A côté de ces grands propriétaires, il s’en trouve de moyens, disposant, par exemple, d’une propriété et d’un capital de 150 000 à 300 000 francs, et dont le rôle est fréquemment très efficace. Les petits propriétaires ne sont nulle part si prospères que lorsqu’ils se trouvent à côté d’un grand domaine intelligemment dirigé. Avec les progrès scientifiques, la terre, tout en conservant des inégalités naturelles, variant suivant les découvertes agronomiques, tend à devenir de plus en plus un instrument qui rend en proportion de l’habileté et des soins de celui qui le manie.

Il est bon parfois que des terres soient exploitées directement, même par de grands propriétaires qui n’y résident pas toute l’année. Cela permet de joindre la culture du sol à d’autres professions qui, bien loin de nuire à cette culture, aident au contraire à la perfectionner. On a souvent remarqué que des industriels et des commerçans enrichis sont très fréquemment d’excellens et surtout de progressifs agriculteurs. La direction générale d’une propriété leur apparaît comme une diversion et un repos, en même temps que comme l’application des méthodes d’expérimentation, de comptabilité qu’ils ont toujours pratiquées dans leur profession principale. Des savans aussi, chimistes ou autres, peuvent être d’excellens agriculteurs, tout en pratiquant leur profession principale, ce qui les oblige à ne pas résider toute l’année. Il est désirable que la direction de l’exploitation du sol incombe fréquemment à des hommes qui, par leur situation, leurs occupations, se trouvent au courant des progrès techniques et des progrès industriels, qui aient l’occasion de voyager et de comparer. À ce point de vue, le faire-valoir direct, même de la part de grands propriétaires non habituellement résidant, pourvu que ceux-ci ne soient pas de simples amateurs et qu’ils sachent choisir et surveiller leurs auxiliaires principaux, est une des conditions du progrès agricole.