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exemples de la Cananéenne et du publicain, de Marie-Magdeleine et du larron ; et le désespoir pour les unes, la confiance impérissable chez les autres. Le protestantisme est décidément la fière religion de ceux qui n’ont jamais failli.

La décoration de la chapelle où le prêche succède à la messe paraît dédiée aux catholiques. Au-dessus de l’estrade, devant laquelle se tient l’assistance, on voit une figure de la Vierge entre deux tableaux : d’un côté le Christ disant à la femme adultère : « Ne péchez plus » ; de l’autre l’enfant Jésus dans la crèche, entouré de misérables qui remplissent une sorte de caverne au fond de laquelle brille une lumière, avec cette inscription : « Un petit enfant vous conduira. »

Une dame des environs vient souvent toucher de l’orgue et ravir ces créatures impressionnables en leur parlant ainsi le langage qu’elles peuvent le mieux comprendre, celui qui touche à la fois les sens et l’âme. Sous beaucoup de rapports, cette jeune femme, artiste et riche, est l’active collaboratrice de Mrs Johnson. D’autres personnes charitables ont contribué à embellir la salle de récréation, qui ne s’ouvre qu’à certains jours de fête, décorée, comme une serre, de plantes, de fleurs et de feuillages où voltigent des oiseaux apprivoisés. On y trouve toute sorte de jeux, des images ; une représentation théâtrale y est parfois donnée par les prisonnières qui fabriquent leurs costumes avec l’aide des matrones. Quelques-unes y apportent beaucoup d’entrain et même d’intelligence ; mais ce qui les amuse par-dessus tout, c’est le travail des champs auquel donne droit une bonne conduite soutenue. On s’en va par escouades et en silence faire de l’herbe, arracher des pommes de terre. Rien n’est plus sain, plus fortifiant que le contact avec la terre ; aussi Mrs Johnson s’efforce-t-elle de placer dans les fermes non pas seulement ses libérées, mais les filles dont elle croit pouvoir répondre avant qu’elles n’aient fini leur temps. Il est si difficile de se procurer des helps (auxiliaires) que les demandes affluent à Sherborn au point qu’on n’y peut suffire. Envoyées dans des campagnes lointaines où elles vivent en rapports quotidiens avec de braves gens simples et rudes qui n’ont pas d’autres domestiques, les pécheresses se reprennent peu à peu à la vie de famille, à de bonnes habitudes ; plusieurs se sont réhabilitées ainsi jusqu’à oublier leur passé honteux.

— Il ne s’agit, me dit Mrs Johnson, que de réussir à leur inspirer un goût très vif, une passion qui tourne d’un côté avouable. Vous n’imaginez pas de quelle utilité me sont les animaux pour cela. Je les ai mises à élever des vers à soie ; je les occupe à l’étable ; une fois j’ai eu l’idée de donner comme récompense à chacune