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fait universellement sentir : dans le ménage. Puissent les réformatrices du monde entier être de son avis ! Personne alors ne craindra plus que le « mouvement féministe » marche trop vite.

Aujourd’hui on cherche en Amérique à relever dans l’estime des femmes ce domaine négligé, le ménage, par l’étiquette de « science domestique » dont on le pare. La science domestique est enseignée, je l’ai montré déjà, dans les écoles publiques et les Associations chrétiennes. On apprend ainsi à faire systématiquement ce qui ailleurs se fait sans y penser et un peu au hasard. La raison de chaque chose est donnée, les vertus nutritives de chaque aliment sont expliquées, l’anatomie de l’animal dépecé pour la boucherie devient un sujet d’étude, ainsi que l’action de l’eau et de la chaleur dans la préparation des mets. Reste à savoir si le pédantisme n’est pas un ingrédient dangereux : le vieux proverbe du pays où l’on s’y entend veut qu’on naisse rôtisseur. Quoi qu’il en soit, l’important est d’exciter par un moyen ou par un autre l’émulation des Américaines dans cette voie qui n’est point de leur goût. Les facilités qu’offrent la pension, le club et le restaurant ont amené chez beaucoup d’entre elles l’effacement des qualités que nous avons coutume de considérer comme étant par excellence celles de leur sexe. Il s’ensuit que maints rouages presque imperceptibles auxquels nous ne songeons guère, tant leur fonctionnement est en France chose convenue, manquent dans presque tous les intérieurs où les dollars ne foisonnent pas.

Certes on rencontre d’excellentes maîtresses de maison aux États-Unis, et non pas seulement celles qui possèdent un cuisinier français, un cocher anglais et payent une femme de chambre trente dollars par mois ; ou bien à un rang secondaire celles qui, pour s’assurer une domesticité permanente et les dehors de ce que nous appelons l’aisance, dépensent plus qu’il ne serait nécessaire ici pour atteindre au luxe ; dans les petites villes, dans les villages reculés de l’Est, les héritières non dégénérées des vieilles traditions puritaines se rappellent quêteurs aïeules, descendantes des meilleures familles de la classe moyenne anglaise, vaquaient aux soins terre à terre de l’intérieur et pratiquaient la thrifliness, l’épargne, traitée aujourd’hui de vilenie. Mais nulle part vous ne trouverez cette industrie adroitement déguisée qui permet à la Parisienne de faire bonne figure avec peu d’argent. Le prix extravagant de tout ce qui est superflu s’y oppose et aussi une répugnance à se réduire aux fonctions qu’il faut bien appeler par leur nom, celles de servante du mari. Ouvrière ou artisane, l’Américaine de nos jours niera résolument que ce soit là son lot en ce monde ; elle juge que l’homme est tout autant