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faite de notre régiment, enfin l’opportunité de la remise, tout manifeste dans cette affaire un dessein providentiel.

— Vous aviez raison... conclut brièvement le général, en se tournant vers Charette. Mon Père, j’accepterai de vous cet étendard pour mon usage, si vous me faites l’honneur de me le confier. Seulement, continua-t-il tandis que le religieux s’inclinait pour marquer son respectueux acquiescement, il me faudra aussi un porte-fanion, car je ne remettrai pas cette étoffe chrétienne aux mains de ces païens-là.

Il montrait du doigt ses spahis engourdis et indifférens. Le colonel reprit :

— Parbleu, j’ai l’affaire... Un garçon qui est de l’or en barre : Henri de Verthamon. N’est-ce pas, mon Père... Verthamon?

— C’est un fort et un croyant, répondit le Père pendant que le colonel, se retournant vers la troupe, appelait :

— Verthamon ! Verthamon !

— Il marche à la dernière compagnie, observa l’aumônier, pour excuser le retard que le sergent mettait à se présenter.

— Ne prenez pas la peine, Charette, laissez-le... opposa le général. Ne faisons pas courir inutilement ce garçon. Vous me l’amènerez à minuit, en venant me demander mes ordres.

— Mon général, je vais lui annoncer l’honneur que vous lui faites, dit le Père, saluant pour prendre congé.

— Vous voudrez bien m’annoncer l’heure que vous choisirez pour la messe, reprit en manière d’adieu le général, qui se découvrait lui-même par un large mouvement de bras.

Le Père comprenait bien le sens de ces paroles polies : elles lui rappelaient cet ordre une fois reçu, et chaque jour soigneusement exécuté, de célébrer l’office une heure avant le départ de la troupe. Arrêté sur le flanc du bataillon, il cherchait à reconnaître dans l’apparition de ces silhouettes qui défilaient quatre par quatre la belle stature d’Henri de Verthamon. Mais la colonne traversait à ce moment le village de Gémigny, dont les maisons, hostilement fermées, jetaient de l’ombre sur les visages.

— J’ai dû le laisser passer, songea-t-il, — et, se voyant en arrière, il prit le loisir d’entrer au presbytère. Les presbytères étaient, dans cette contrée dévastée, les seules maisons où l’on eût chance de trouver quelques provisions; et le Père ne frappait pas à cette porte sans une arrière-pensée d’ordre purement temporel.

Cependant, le canon tonnait vers l’avant; et le général tressaillait à ces appels sauvages que sonnait la poudre dans ses rauques instrumens, car le canon qui éclate produit plus qu’un bruit : il a comme une voix qui insulte et qui supplie, qui menace et qui gémit. « Marcher au canon, » c’était l’ordre sommaire qui