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convaincu de la perversité originelle de notre nature, préoccupé le la rude discipline à laquelle il convient de plier l’homme pour le rendre bon. Il croit à la tentation quotidienne de lame, et la vision triste du tentateur le hante. Voici un conte du Reggimento que Boccace eût écrit d’un ton bien différent, l’histoire d’une fille très belle, âgée de vingt-cinq ans, qui s’était retirée seule en une cellule, près de Noyon, en plein désert. L’ermitage semblait inaccessible. Néanmoins, tous les mauvais garçons de la contrée, « comme me l’a raconté un chanoine de la cathédrale », rôdaient sans cesse aux alentours, pour l’induire à mal ; elle leur parlait de sa petite fenêtre, « sans se laisser voir », et sa pureté constante était un vrai miracle. Vainement un sage religieux lui représenta-t-il le danger de ces colloques : « Je suis, dit-elle, si ferme dans l’amour divin que si le serpent d’Eve, avec la ruse de tous les démons, venait me tenter, je ne le craindrais point. » Mais ledit serpent l’avait bien entendue. La nuit d’après, elle eut un songe; elle se crut reine, et que le roi son époux « lui faisait grande fête. » Le lendemain, adieu rosaire, office, oraisons! elle ne pensait plus à Dieu. Le rêve infernal revint, et quand le serpent la sentit en humeur de damnation, il se présenta sous la forme d’une belle comtesse et lui annonça que le fils du roi demandait sa main. Elle répondit qu’elle était libre encore, n’ayant point fait vœu de virginité et qu’elle ne demandait pas mieux que d’obéir. Le diable alors fit signe à un des mauvais garçons de monter à l’ermitage ; mais Dieu eut pitié de la malheureuse et lui dépêcha un ange. La comtesse, exorcisée par l’ange, redevint serpent, et, vaincue, s’en alla en disant : « Je suis le serpent d’Eve : tu as cru en savoir plus que moi et je t’ai trompée. » La jeune fille s’évanouit, puis appela le bon religieux, lequel la conduisit, en toute hâte, à un couvent de femmes. Elle y pleura longtemps sa faiblesse, et y mourut enfin en renom de grande sainteté.

La fantastique histoire est contée très gravement par Barberino afin de prouver aux femmes vouées à la vie religieuse de quels périls le démon les menace jour et nuit. La nouvelle suivante est plus étrange encore ; elle semble sortir de quelque chronique monacale du Xe siècle. Des gentilshommes ont chassé des nonnes de leur couvent pour mettre à leur place leurs propres filles, âgées de dix-huit ans, sous la crosse d’une sainte abbesse. Mais bientôt les jeunes vierges ne pensent plus qu’à festiner, à se farder, « à se faire belles. » Dieu, résolu à les punir et à venger les anciennes résidentes, envoie un ange à Satan, et propose au tentateur de perdre les joyeuses petites sœurs. Satan ne se fait pas prier et charge de la mission un diable de confiance, très malin, nommé Rasis. Celui-ci commence par une visite à l’abbesse. Il a pris la