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de ne pas aller plus loin ; c’est une attitude parlementaire un peu puérile. Nul n’ignore que nous devons aller fatalement jusqu’au fond de cette boucle, soit pour réduire nos adversaires soudanais qui nous y attirent, soit pour y devancer des rivaux qui se hâtent vers le même but. Nul n’ignore qu’il faut relier nos territoires riverains du Niger à nos établissemens du golfe de Guinée, ce qu’on fait peu à peu; notre empire du Soudan ne deviendra un organisme viable qu’en débouchant sur la mer par les rivières méridionales. L’opinion a permis au Dahomey ce qu’elle avait interdit au Tonkin, l’opération militaire rondement menée par « le gros paquet » ; nos soldats sont revenus de chez Béhanzin avec un de ces sourires de gloire pour lesquels la France a de si tendres faiblesses qu’elle ne demande rien de plus à ceux qui le rapportent. Et nos pionniers ont bu l’eau du fameux lac Tchad, ils ont frayé une route française entre ce lac et le Congo.

Jusqu’ici, tout est parfait. Je me réfère aux raisons de tout ordre que j’alléguais à cette place, il y a quatre ans, en adjurant notre pays de faire grand et de faire vite. Nos gouvernemens ont pu commettre des fautes de détail; mais, pour qui regarde l’ensemble de ces entreprises, ils se sont bien acquittés de leur fonction, ils ne l’ont pas outrepassée; ils ont pris les devans sur nos rivaux, en usant de tous les moyens qu’ils avaient sous la main pour étendre et marquer solidement les limites de ce vaste empire, pour y occuper fortement des positions de choix. Il leur appartenait de stimuler le mouvement naissant, de l’accélérer et de le diriger. — Est-ce à dire que les circonstances ne leur imposent pas aujourd’hui d’autres devoirs, y compris le plus pénible de tous pour un gouvernement français, le devoir de s’effacer en certains cas devant l’initiative privée?

Ah! je le sais bien, c’est l’éternelle dispute du père et de l’enfant qui devient homme. Le père dit : Je t’ai élevé jusqu’à ce jour, j’ai veillé sur toi, tu ne pouvais rien sans mes soins, et ils te sont encore nécessaires : le moment n’est pas venu de t’émanciper. — Il est venu, répond l’enfant; je peux me suffire à moi-même, je n’ai plus que faire d’une tutelle. — Le père a longtemps raison contre ce jeune impatient; mais un jour vient aussi où l’enfant a raison contre le père. Je crois bien que ce jour a lui, dans l’ordre des entreprises coloniales, et qu’il est temps de demander notre part d’héritage à notre père le Gouvernement.

Pour un très grand nombre de nos concitoyens, cette dispute n’a pas de sens. L’ancienne vertu colonisatrice est à jamais morte dans notre race, ils en sont persuadés. Ils justifient leur scepticisme en invoquant les leçons de l’histoire, depuis plus d’un siècle; et si certains erremens administratifs devaient continuer,