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semblait d’un intérêt médiocre ; le cas était isolé ; l’expérience ne portait que sur une industrie, et celle dont les produits sont le plus nécessaires à l’humanité souffrante ; mais, au fond, il s’agissait là d’un premier essai, d’une tentative qu’on croyait adroite dans sa modestie apparente, pour réaliser un point du programme socialiste. On espérait que l’intérêt qui s’attache aux malades servirait de passeport à la réforme. Les malades sont, en effet, très intéressans ; les gens bien portans le sont aussi, et il importe de les maintenir dans cet état, puisque les remèdes qu’on donne aux malades ont pour objet de les y ramener. Dès lors, pourquoi ne pas faire des boulangeries, des boucheries, des épiceries municipales? Après avoir nourri le peuple, pourquoi ne pas le vêtir, car enfin on ne peut pas aller nu dans la rue : l’hygiène et la police s’y opposent, et les vêtemens aussi sont un objet de première nécessité. La municipalité de Roubaix s’est donné à charge d’édifier la Salente des temps prochains. Son système est bien simple : prendre l’argent des riches pour le rendre à tous sous la forme des produits divers, qui coûteraient d’abord le moins possible, et finalement rien du tout. Elle a commencé par les produits pharmaceutiques, et naturellement les pharmaciens se sont plaints. Voilà des hommes qui ont fait des études difficiles, payé des inscriptions et des diplômes, subi de longues et onéreuses épreuves pour exercer une profession soumise aux lois de la concurrence commerciale ; ils comptent, comme il est juste, rentrer dans leurs frais, gagner de quoi vivre et aussi économiser, soit pour leur famille, soit pour eux-mêmes dans leurs vieux jours; et tout d’un coup, le conseil municipal de leur commune ouvre à côté de la leur une boutique où on donne les mêmes produits que les leurs au-dessous du prix de revient. Ils se regardent comme volés, et ils ont bien raison. Tous les autres commerçans qui, sans avoir fait les mêmes travaux préparatoires, ont engagé leurs capitaux et mis leur activité dans une entreprise, éprouveraient le même sentiment de révolte si on les mettait dans la même situation. On compte bien les y mettre un jour. Que leur reste-t-il à faire ? Ils n’ont plus qu’à liquider leur commerce et à mettre au service de la municipalité leur expérience professionnelle, moyennant un traitement. Et c’est bien aussi à ce résultat qu’on tend à Roubaix, car, en matière de socialisme, tout commence par des expropriations et finit par des fonctionnaires.

Principiis obsta. M. le président du Conseil a déclaré avec beaucoup d’énergie que le gouvernement n’était ni socialiste ni collectiviste, et qu’il avait tenu à s’opposer au premier pas fait dans une voie dangereuse. D’ailleurs, a-t-il dit, la loi l’y obligeait. Si cette loi n’avait pas existé, il aurait fallu la faire, et nous serions reconnaissans au gouvernement de n’en jamais proposer pour entr’ouvrir la porte au socialisme. Malheureusement, le projet de budget ne nous donne pas à cet