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troupe on espère que presque tous les officiers seront remplacés par les sous-officiers. Dans plus d’une adresse des régimens à l’Empereur on demande ouvertement la révocation du colonel. « Nous sommes persuadés, écrivent les officiers, sous-officiers et soldats du 75e de ligne, que l’intention de Votre Majesté n’est pas de conserver un traître à la tête d’un régiment français. »

Il y a une autre raison encore à l’esprit d’indiscipline. Dupes des apparences, comme à peu près tout le monde à cette époque, les soldats s’imaginent qu’ils ont fait seuls la révolution qui a ramené l’Empereur aux Tuileries[1]. Napoléon leur doit le trône, en conséquence, ils se croient tout permis aux cris de : Vive l’Empereur ! Davout n’a-t-il pas déclaré que l’abandon de leurs corps par les soldats pendant les derniers événemens ne doit être considéré que comme une preuve de dévouement à l’Empereur, et le sage Drouot, lui-même, ne conclut-il pas à la réintégration dans les cadres de la vieille garde de sous-officiers cassés en 1814 pour avoir déserté « par chagrin du départ de Sa Majesté »? Quels exemples pour une armée!

Les troupes de Grouchy, en marche de Pont-Saint-Esprit sur Marseille, après la capitulation de La Pallud, commettent les pires excès à Orgon sous prétexte que l’année précédente, quand Napoléon exilé a traversé ce bourg, les habitans l’ont voulu pendre. A Aire (Pas-de-Calais), le 105e de ligne en route pour la frontière commence à démolir une maison toute neuve dont la façade est décorée de fleurs de lys; pour calmer les soldats, le commandant de place ne trouve d’autre moyen que de faire immédiatement mener en prison le malheureux propriétaire. A Aix, des canonniers offusqués de voir de jeunes royalistes se promener avec d’énormes roses blanches à la boutonnière, les dispersent à coups de sabre. A Saint-Germain, les tirailleurs de la jeune garde se mutinent et refusent d’entrer dans leur caserne parce qu’il n’y a point de drapeau tricolore à la porte. Dans les théâtres les soldats maltraitent les spectateurs qui n’applaudissent pas la Marseillaise. Dans les cafés, ils battent les gens qui refusent de crier Vive l’Empereur! « La maraude et le pillage sont dans l’armée, écrit le 17 juin à Davout le général de gendarmerie Radet. La garde elle-même en donne l’exemple. On a pillé des magasins à fourrages, volé des chevaux au piquet. On a pillé

  1. C’est là une illusion des contemporains qui en a imposé à tous les historiens. La révolution du 20 mars fut non point un mouvement militaire subi par le peuple, mais un mouvement populaire secondé par l’armée. J’ai cherché à le démontrer dans plusieurs pages de 1815, et, si j’en juge par l’opinion de la plupart des critiques, je crois y avoir réussi.