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manquera pas de proposer d’ici à quelques années d’autoriser les compagnies à émettre des obligations remboursables après l’expiration de leurs concessions. On invoquera l’argument que les travaux actuels serviront aux générations futures. Nous souhaitons pour notre part que nos législateurs cèdent le plus tard possible à cette tentation. De quelque côté que nous examinions les conséquences financières qu’entraînerait le rachat des concessions actuelles, nous arrivons toujours à la conclusion qu’il en résulterait de graves dangers pour nos finances.

Les considérations techniques ne nous amèneront pas à une conclusion différente. En fait les compagnies ont presque toutes à leur tête des ingénieurs de l’Etat, qui apportent à ce service leur compétence et leur honorabilité. Le rachat n’aurait donc pas pour conséquence un changement dans le haut personnel dirigeant. Quant aux conseils d’administration, on pourrait craindre que des influences parlementaires n’en vinssent diminuer la parfaite indépendance. Le gouvernement est bien plus fort pour contrôler une compagnie que pour se censurer lui-même. Chacun sait que le service des télégraphes est aux mains de l’Etat. Or la loi du 29 novembre 1850 déclare que « l’Etat n’est soumis à aucune responsabilité à raison du service de la correspondance privée par la voie télégraphique. » Nous ne pouvons, quelque préjudice que nous ayons subi par suite d’un retard, d’une transmission inexacte, élever aucune réclamation ni poursuivre per- sonne. Il en serait de même pour tous les dommages que nous éprouverions du chef des chemins de fer, le jour où l’exploitation serait entre les mains de fonctionnaires. Aujourd’hui, au contraire, on sait combien les tribunaux sont disposés à allouer de larges compensations à tous ceux qui, d’une façon ou de l’autre, sont lésés pécuniairement ou corporellement par le fait des Compagnies.

Et l’Etat n’a-t-il pas tout bénéfice à laisser à celles-ci le fardeau de l’impopularité? Qu’un train soit en retard, qu’une chaufferette se refroidisse au cours d’un trajet, qu’un colis soit dirigé sur une fausse destination, ce n’est pas à lui que s’en prend le voyageur ou l’expéditeur. Faudra-t-il ajouter les accidens de chemins de fer aux innombrables causes déjà susceptibles d’amener la chute des cabinets? et un déraillement sur un point quelconque du réseau devra-t-il provoquer la démission de ministres, solidaires de leur collègue des Travaux publics?

Nous sommes frappés du fait que les Américains, chez qui la constitution des chemins de fer a cependant été bien différente de ce qu’elle fut en France, arrivent à des conclusions à peu près identiques aux nôtres. Dans son récent travail sur la Théorie des