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bercail de Jésus-Christ, puisque nous professons tous qu’il n’y a qu’une vraie église.


Mais revenons à la Russie. Cette grande et noble nation slave fut conquise à la vraie foi orthodoxe et catholique par des missionnaires venus de Constantinople, plus d’un siècle avant la scission définitive de ce patriarcat d’avec le siège romain. Elle reçut de Constantinople, encore catholique-romaine, la vraie foi avec la liturgie grecque. Lors de cette déplorable scission, Constantinople avait contre Rome les souvenirs accumulés de sept à huit siècles d’antagonisme et de rivalité de races. La Russie, au contraire, sortant à peine de la barbarie, n’avait aucun grief contre Rome : elle fut entraînée dans la séparation pour ainsi dire à son insu.

Plus tard, les croisades amenèrent de nouvelles inimitiés entre les Grecs et les Latins; l’établissement de l’empire latin de Constantinople par les croisés, malgré la défense du Pape, ne fut certainement pas le moindre des griefs qui empêchèrent dans la suite la réconciliation définitive des deux Eglises.

Les Russes, au contraire, bientôt subjugués par les Mongols, furent séparés pour un temps du monde civilisé et ne furent aucunement môles à ses querelles. A leur réveil comme nation, ils se retrouvèrent chrétiens fervens, catholiques et orthodoxes, comme ils l’étaient au temps de leur union avec Rome : ils avaient contre Rome, non des griefs, mais seulement les préjugés séculaires que leur avaient inculqués les Grecs.

Survint, au XVe siècle, le Concile de Florence. La Russie prit part à la grande union qui se fit alors entre l’Eglise d’Orient et celle d’Occident; ce fut son patriarche Isidore qui signa l’acte d’union; il fut créé cardinal, et mourut à Rome après qu’une nouvelle et déplorable séparation se fut produite, séparation qui ne fut toutefois jamais officielle.

Après une nouvelle période de troubles politiques, la Russie trouva son organisateur dans la personne de Pierre le Grand. Ce grand empereur songea sérieusement à unir de nouveau l’Eglise russe au siège de Pierre. Il y fût parvenu, sans aucun doute, et il aurait persévéré dans cette première pensée, si le pape lui eût concédé le titre d’Empereur qu’il sollicitait. Mais l’idée d’un empire chrétien unique était encore trop enracinée dans l’opinion publique de ce temps pour que le pape pût obtempérer à ses désirs. C’est alors que l’Eglise russe subit une modification importante dans sa hiérarchie et son gouvernement. Pierre le Grand, qui redoutait l’influence croissante du patriarche de Moscou, laissa s’éteindre cette dignité suprême, et le gouvernement de l’Eglise