Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/105

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qualité presque universelle,… de faire en sorte que l’état habituel de l’homme, dans un peuple entier, soit d’être conduit par la vérité… soumis dans sa conduite aux règles de la morale… se nourrissant de sentimens doux et purs. » Et il ajoutait : « Tel est le point où doivent infailliblement le conduire les travaux du génie et le progrès des lumières[1]. » Me dira-t-on que Condorcet n’était après tout qu’un encyclopédiste ? Et je l’entends bien ainsi. Mais Renan, à ses débuts du moins, n’a pas dit autre chose : « La science restera toujours la satisfaction du plus haut désir de notre nature : la curiosité ; elle fournira toujours à l’homme le seul moyen qu’il ait pour améliorer son sort. » Et en un autre endroit, dans ce même livre sur l’Avenir de la science, dont le titre à lui seul était tout un programme : « Organiser scientifiquement l’humanité, — c’est lui qui soulignait, — tel est donc le dernier mot de la science moderne, telle est son audacieuse, mais légitime prétention[2]. » Voilà, je pense, des promesses ! qui vont un peu plus loin que l’ambition du chimiste ou du physicien ; et ce sont ces promesses auxquelles on prétend que la science aurait fait banqueroute.

Serrons cependant la question de plus près. En fait, les sciences physiques ou naturelles nous avaient promis de supprimer « le mystère ». Or, non seulement elles ne l’ont pas supprimé, mais nous voyons clairement aujourd’hui qu’elles ne l’éclairciront jamais. Elles sont impuissantes, je ne dis pas à résoudre, mais à poser convenablement les seules questions qui importent : ce sont celles qui touchent à l’origine de l’homme, à la loi de sa conduite, et à sa destinée future. L’inconnaissable nous entoure, il nous enveloppe, il nous étreint, et nous ne pouvons tirer des lois de la physique ou des résultats de la physiologie aucun moyen d’en rien connaître. J’admire autant que personne les immortels travaux de Darwin, et quand on compare l’influence de sa doctrine à celle des découvertes de Newton, j’y souscris volontiers. Mais quoi ! Pour descendre peut-être du singe, — ou le singe et nous d’un commun ancêtre, — en sommes-nous plus avancés, et que savons-nous de la vraie question de nos origines ? « Dans l’hypothèse mosaïque delà création, — dit Hanckel, — deux des plus importantes propositions fondamentales de la théorie de l’évolution se montrent à nous avec une clarté et une simplicité surprenantes. » Mais, de plus, ajouterons-nous, « l’hypothèse mosaïque de la création » nous donne une réponse

  1. Esquisse d’un tableau des progrès de l’esprit humain. Édition Didot, t. IV des Œuvres, p. 395.
  2. L’Avenir de la science, p. 37.