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Taisez-vous, raison imbécile ! aurait sans doute répondu Pascal ; et, à la vérité, nous ne saurions dire ce qu’il en sera dans cent ans, dans mille ans ou deux mille ans d’ici ; mais, pour le moment, et pour longtemps encore, il semble que la raison soit impuissante à se délivrer seulement de ses doutes, bien loin de pouvoir faire elle-même son salut ; et s’il est vrai que depuis cent ans la science ait prétendu remplacer « la religion », la science, pour le moment et pour longtemps encore, a perdu la partie. Incapable de nous fournir un commencement de réponse aux seules questions qui nous intéressent, ni la science en général, ni les sciences particulières, — physiques ou naturelles, philologiques ou historiques, — ne peuvent plus revendiquer, comme elles l’ont fait, depuis cent ans, le gouvernement de la vie présente. A défaut d’une certitude entière, mathématique et raisonnée, si nous avons besoin de nous former une idée de ce que nous sommes, et si le lien social ne peut subsister qu’à cette condition, les sciences peuvent nous y aider, mais il ne leur appartient pas de déterminer, et encore bien moins de juger cette idée. Pour le moment, dans l’état présent de la science, et après l’expérience que nous en avons faite, la question du libre arbitre, par exemple, ou celle de la responsabilité morale, ne sauraient dépendre des résultats de la physiologie. Le progrès qu’on avait cru faire, avec Taine et sur ses traces, en « soudant, — selon son expression, — les sciences morales aux sciences naturelles, » n’a pas été du tout un progrès, mais au contraire un recul. Si nous demandions au darwinisme des leçons de conduite, il ne nous en donnerait que d’abominables. Et, sans doute, d’un darwinisme à peine assuré de la solidité de ses principes, ou d’une physiologie rudimentaire encore, on en peut bien appeler à une physiologie plus savante ou à un darwinisme mieux entendu ; mais, en attendant, il faut vivre, d’une vie qui ne soit pas purement animale, et la science, aucune science aujourd’hui ne saurait nous en donner les moyens.

C’est la raison de la révolution, ou de l’évolution, que nous voyons se produire et dont on trouverait les preuves, au besoin, dans la Bibliographie de la France. Non pas du tout que je me fasse illusion sur les « décadens du christianisme, » — c’est le titre d’un livre qui ne tient pas, lui non plus, ce qu’il semblait promettre ; —et je n’abandonnerais volontiers, pour ma part, ni la philologie, ni l’exégèse même aux « néo-catholiques, » ou à nos « symbolistes ». S’il y en a de sincères, j’en sais qui le sont moins, et qui ne croient au fond qu’à eux-mêmes. J’ai moins de confiance encore dans les « néo-bouddhistes », avec leurs exercices, et je n’en mets