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autre, celle de la justice absolue, dans toutes les morales fondées, comme celles de Kant, sur « l’autonomie de la volonté. » Et s’il y a sans doute une morale positiviste, une morale issue de l’idée d’une participation de misères et d’une solidarité d’intérêts qui lierait les unes aux autres, dans l’infini de l’espace et du temps, les générations des hommes, une très belle morale, celle dont George Eliot a donné la plus noble expression : — « Puissé-je atteindre — les cieux très purs ! être pour d’autres âmes — Le calice de vaillance en quelque grande agonie — Allumer de généreuses ardeurs, nourrir de pures amours, — Etre la douce présence du bien partout diffus — Et dans sa diffusion toujours plus intense[1] ; » — qui ne reconnaît là l’idée même du catholicisme ou de la catholicité, pour mieux dire, mêlée avec l’idée de la vertu du sacrifice ? Tant il est vrai que nous sommes imprégnés de christianisme ! In eo vivimus, movemur et sumus. Et si jamais nous le rejetons, ce sera sans doute le fait le plus considérable de l’histoire du monde, — après celui de son institution !

Pour tous ceux donc qui ne pensent pas qu’une démocratie se puisse désintéresser de la morale, et qui savent d’ailleurs qu’on ne gouverne pas les hommes à l’encontre d’une force aussi considérable qu’est encore la religion, il ne s’agit plus que de choisir entre les formes du christianisme celle qu’ils pourront le mieux utiliser à la régénération de la morale, et je n’hésite pas à dire que c’est le catholicisme.

Non pas du tout à ce propos que je méconnaisse la haute valeur du protestantisme, sa raison d’être historique, et les exemples de vertu qu’il a donnés, qu’il donne encore tous les jours ; mais le catholicisme a sur lui de grands avantages, dont le premier sans doute est d’être, selon le mot de Renan, « la plus caractérisée, et la plus religieuse de toutes les religions ». Le catholicisme est un gouvernement, et le protestantisme n’est que l’absence de gouvernement. C’est ce que prouve son histoire, qui n’est à proprement parler que celle de ses divisions. Représentez-vous une armée, dont les soldats refuseraient l’obéissance à leurs officiers, comme différant avec eux d’opinion sur une question de discipline ou de service : telle est l’image du protestantisme. « Placez Ignace de Loyola à Oxford, — a-t-on dit, et je n’ai pas besoin d’ajouter que c’est un protestant qui l’a dit, — il y deviendra certainement le chef d’un schisme formidable. Placez John Wesley à Rome, il y sera certainement le premier général d’une société dévouée aux intérêts et à l’honneur de l’Eglise. Placez sainte

  1. Cité par W. H. Mallock, dans son livre : Is life worth living, p. 81. 82.