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d’un intérêt très modique : 4 et demi ou 4 pour 100. Il y aurait folie pour l’établissement à mettre ces sommes qui lui sont dues en balance de celles qu’il doit lui-même au public ; il ne pourrait jamais recouvrer les premières avec la même rapidité qu’il devrait payer les secondes. Il ne saurait songer davantage à immobiliser les dépôts à vue et les comptes créditeurs dans une entreprise de longue haleine, voire la plus avantageuse, puisqu’il n’est pas aisé de réaliser les sommes ainsi engagées, que l’établissement est tenu de rembourser lui-même à première réquisition.

De même les valeurs mobilières, fussent-elles des meilleures, de celles qu’on est convenu d’appeler « de tout repos », subiraient, en cas de grave perturbation, une baisse énorme au moment précis où l’établissement aurait besoin de les vendre. C’est l’éventualité dont les Chambres se sont maintes fois préoccupées pour les caisses d’épargne. Mais les déposans de ces caisses, créanciers de l’Etat, se doutent bien qu’ils ne pourraient, en pareil cas, être remboursés à bureau ouvert, et qu’il leur faudrait accepter les échéances que leur débiteur fixerait par une loi. Les établissemens privés ne sont pas en même posture : si leurs cliens se contentent d’un demi ou 1 pour 100 d’intérêt, c’est afin d’être sûrs de toucher à leur gré le montant de leur avoir. A la première alerte, ils accourent ; la simple déconfiture d’une société importante suffit pour attirer à toutes les autres un run aux dépôts. Ce fut ce qui arriva lors de la chute de l’ancien Comptoir. La déclaration de guerre de 1870 enleva en quelques jours au Crédit lyonnais 70 pour 100 de ce chapitre, à la Société générale 85 pour 100. On estime que la panique légère amène 25 pour 100 de retraits, la grave 50 à 60 pour 100, la très grave 75 à 90 pour 100. Il faut toujours être prêt à ces catastrophes.

Les seules destinations rémunératrices de ces 1500 millions auxquels s’élèvent, dans les grandes banques de dépôt, les sommes remboursables à vue, sont l’escompte des effets de commerce et les emplois passagers que la Bourse offre habituellement aux capitaux sous forme de report. Pour que les sociétés de crédit soient en mesure de tenir leurs promesses, il faut que l’encaisse, le portefeuille des traites bancables et l’argent placé en reports, égalent les dettes exigibles à toute heure. Tandis qu’affolé par quelque krach, par la crainte d’un bouleversement social ou d’une complication extérieure, le bourgeois se présenterait aux guichets, l’établissement aurait, en quelques heures, réescompté à la Banque de France de volumineuses brochettes d’effets et en aurait rapporté des liasses de billets bleus et clos sacs d’espèces sonnantes.