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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/136

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de leur portefeuille, doit présider également à celle de leurs avances. Elles évitent de se charger de trop gros paquets ; elles recherchent la variété. Des influences puissantes les forcent-elles à se départir, même pour un court laps de temps, de leur réserve ordinaire, c’est avec une profonde répugnance que leurs chefs contracteront un engagement qu’ils jugent dangereux, quelque lucratif qu’il puisse être. Lors de l’avance d’une trentaine de millions faite au Panama vers 1888, par un groupe de grandes sociétés, — avance dont la presse a maintes fois parlé depuis, — le directeur d’un des établissemens syndiqués disait à ses collègues, en quittant la salle où l’affaire venait de se conclure : « J’aurais mieux aimé m’être cassé la jambe que d’avoir eu à donner cette signature-là. » Plus tard, par une singulière ironie des événemens, quelques orateurs transformèrent en usure adroitement exécutée ce prêt que l’on n’avait pu arracher aux intéressés qu’en faisant appel à leur patriotisme !


III

Si les établissemens de crédit redoutent à un tel point les immobilisations de capitaux, « accrochés » dans une affaire, non pas toujours mauvaise, mais par laquelle leurs ressources disponibles se trouvent paralysées durant de longues années, c’est que tous, sans exception, ont éprouvé de ce chef de grandes pertes. L’expérience qu’ils ont acquise leur a coûté cher ; la première période de leur existence est semée de cuisans souvenirs.

L’examen de ce passé montre combien est faux cet axiome qui roule parmi le vulgaire que « l’argent va toujours à l’argent », et qu’il suffit d’en avoir beaucoup pour en gagner énormément. Si la vie privée n’était pas murée, la mise à nu des péripéties auxquelles sont sujettes les spéculations des capitalistes serait instructive. L’on y verrait combien de fois les entreprises les plus sages, celles même dont le public profite, ont donné de mécomptes à leurs auteurs, quelque riches qu’ils puissent être. Le nombre est plus grand qu’on ne croit des « affaires » ou tels grands banquiers qui pensaient faire merveille en y participant, ont presque toujours englouti d’assez beaux deniers, bien que plusieurs industries aient gagné, en fin de compte, à leurs hardies tentatives.

Les exemples qu’il serait indiscret de demander aux fortunes particulières, l’histoire des établissemens publics de crédit nous les fournit.